samedi 23 novembre 2024 17:16

Retours volontaires « au rabais » pour des migrants tunisiens

Dans plusieurs documents officiels qu'a pu lire La Croix, l'Office français de l'immigration et de l'intégration s'engage à verser une somme de 2 000 € à des Tunisiens passés par Lampedusa souhaitant retourner au pays. Une promesse financière que l'établissement public ne tiendra pas.

Mouhamed devait se présenter le 9 juin prochain à l'aéroport d'Orly pour un vol en direction de Tunis, avec sa convocation de départ à la main. Un document de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) [voir ci-contre sa reproduction en fac-similé], sur lequel est indiqué noir sur blanc : « Un agent de l'Ofii vous prendra en charge pour accomplir les formalités d'enregistrement et vous remettre le billet d'avion et le pécule de 2 000 EUR. » Mais cette somme, qui devait permettre au jeune homme de 23 ans de rembourser à son entourage l'argent emprunté pour financer son voyage et de revenir ainsi au pays la tête haute, ne sera jamais versée. En tout cas pas dans sa totalité. La direction territoriale de Montrouge (Hauts-de-Seine), qui prend en charge son dossier, l'a en effet rappelé pour lui demander de rendre son laissez passer.

Il y aurait eu « erreur », selon l'administration. L'aide qui lui sera attribuée pour sortir du territoire ne sera pas de 2 000 EUR, mais de 300 EUR.

Pour Mouhamed, pas question de se présenter à l'aéroport avec ce pécule-là, pas plus que pour une dizaine de ses camarades dans la même situation que lui. La somme, en effet, recouvre à peine un tiers de ce qu'ils ont donné aux passeurs pour se rendre sur l'île de Lampedusa. Pour s'affranchir de leurs dettes, il leur faudra d'abord essayer de travailler, illégalement, en France. Et risquer, au moindre contrôle, d'être placés en centre de rétention puis expulsés.

L'Ofii confirme que la somme est bel et bien revue à la baisse, mais se refuse à tout commentaire sur son revirement. Toutefois, l'établissement public, en revenant sur le montant de son soutien, change aussi la nature de ce dernier. La France propose en effet aux ressortissants étrangers deux types d'aide au retour. L'«aide au retour volontaire », qui concerne en principe les étrangers soumis à une procédure d'expulsion ou les sans-papiers présents sur le territoire depuis plus de trois mois - c'est le cas des destinataires du courrier de l'Ofii, qui avaient monté leur dossier avec l'aide de l'association France Terre d'asile. Elle s'élève à 3 500 EUR pour un couple, plus 1 000 EUR par enfant, ou à 2 000 EUR pour une personne seule. L'« aide humanitaire », elle, s'élève à 300 EUR et 100 EUR par enfant.

Mais elle ne doit pas être proposée à des personnes qui font l'objet d'une mesure d'éloignement. En principe, donc, impossible de passer d'un régime à l'autre, puisqu'elles ne répondent pas au même statut.

En réalité, le changement tient à une circulaire interne à l'Ofii, envoyée à toutes les directions territoriales et datée du 12 mai dernier, qui vise directement les Tunisiens passés par Lampedusa.

Cette note précise que toute aide au retour accordée à ces candidats  à l'émigration sera plafonnée à

300 EUR.

« Sauf preuve du contraire, ces instructions ne reposent sur aucune base légale », s'insurge Pierre Henry, directeur général de l'association France Terre d'asile et membre du conseil  d'administration de l'Ofii. « Elles viennent même contredire l'accord franco-tunisien de 2008, qui fixe une aide de 2 000 EUR, à condition d'avoir trois mois de présence sur le territoire français. Cela répond clairement à une volonté de la puissance publique - cela m'a été clairement énoncé de la sorte au ministère de l'intérieur - de montrer qu'il n'est pas question de donner une prime à ceux qui viennent en France de manière illégale, ni d'encourager ceux qui seraient tentés de venir.» Le responsable associatif ne s'interdit pas de saisir le tribunal administratif pour dénoncer la circulaire.

En 2010, le coût de la mise en oeuvre des retours s'est élevé à 21,8 millions d'euros, comprenant 10,9 millions pour le transport des migrants, et 10,9 millions pour les aides financières. En tout, 14 000 retours ont été organisés. L'Office enregistre toutefois une diminution du nombre des aides au retour humanitaire (- 20,8 % par rapport à 2009) et une augmentation des aides au retour volontaire (+ 37,9 %). Les principaux bénéficiaires de ces retours restent les ressortissants roumains et bulgares. Mais certaines sources proches du dossier certifient que l'Ofii, sans moyens supplémentaires, aura bien du mal à financer les demandes tunisiennes en 2011.

De plus, la politique de réduction des déficits publics impose à l'institution une réduction d'effectifs de 100 agents, ce qui freine le traitement administratif.

Or, selon les associations Aurore et France Terre d'asile, le quart des migrants passés par Lampedusa souhaiterait être rapatrié moyennant une aide financière. Ce qui reviendrait au moins à 5 000 départs volontaires.

6/6/2011, JEAN-BAPTISTE FRANÇOIS

Source : La Croix

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