Entretien avec Fatima Houda Pépin, première vice-présidente de l'Assemblée nationale du Québec et députée de la Pinière
Soucieuse du rapprochement des différentes communautés au Québec, Fatima Houda Pépin nous parle de la situation des immigrants au Canada. Cette politologue québécoise fait une «analyse» des méthodes d'intégration et des attitudes à éviter à ce niveau.
LE MATIN: Que pouvez-vous nous dire sur l'immigration au Canada ?
FATIMA HOUDA PEPIN: L'immigration au Canada est une compétence partagée entre le gouvernement fédéral et le gouvernement des provinces. Le Québec est la première juridiction non fédérale qui s'est approprié la compétence de l'immigration depuis les années 60. On voulait non seulement accueillir mais aussi intégrer. Dès le départ on s'est donné des outils, on a créé le ministère de l'immigration qui est devenu plus tard le ministère de l'Immigration et des Communautés Culturelles. On a mis en place des règlements et des consultations concernant l'immigration. Contrairement à l'Europe où les gens vont pour travailler, au Canada on ne peut pas venir sans avoir un statut régularisé.
Ici, il y a différentes catégories d'immigrants. On a ainsi les indépendants, qui se destinent au marché du travail. Ils sont sélectionnés selon une grille de points et doivent réussir toutes les étapes pour pouvoir arriver au Canada avec le statut d'immigrants. Il s'agit généralement d'une immigration jeune et qualifiée dont 70% est sous le contrôle du gouvernement du Québec. Il y a aussi les revendicateurs de statut de réfugiés qui cherchent la protection et les immigrants qui viennent dans le cadre de la réunification de la famille. Cette immigration se féminise de plus en plus et elle vient des quatre coins du monde.
L'immigration clandestine n'a donc pas de place sur le territoire canadien ?
Il n'y a pas d'immigration illégale. Les gens ne peuvent pas venir avec un statut de visiteur touriste et rester ici. Nous avons choisi au Canada de nous considérer officiellement comme un pays d'immigration. Nous valorisons l'immigration, nous la cherchons partout au monde parce que nous avons compris que sans l'immigration on ne peut pas assurer un niveau de développement économique important.
Quelle part occupe la communauté marocaine au sein de cette stratégie de développement ?
Les Marocains ont un profil professionnel assez élevé; ce sont des gens qui s'intègrent généralement bien sur le plan social et culturel grâce à la proximité culturelle et la connaissance de la langue française.
S'agissant de la recherche d'emploi, il y en a qui rencontrent des difficultés. Il est à noter que quand on cherche des immigrants destinés au marché du travail il faut les accompagner lorsqu'ils arrivent pour leur donner la formation linguistique, les méthodes de recherche d'emploi ainsi que les appuis au niveau du logement et les mettre en contact avec les organismes financés par le gouvernement du Québec qui les prendront en charge.
Une fois que la personne est passée à travers toutes ces étapes, le reste lui appartient. L'immigrant rencontre alors les mêmes difficultés que tous les Québécois dans la recherche d'emploi. Beaucoup d'entre eux réussissent mais d'autres ont des difficultés à s'intégrer dans le marché du travail. Il faut savoir aussi que 60% de l'immigration est indépendante. Les Marocains et Maghrébins sont totalement désemparés lorsqu'ils arrivent au Canada. Ils ont beaucoup de difficultés à comprendre le système et à avoir des repères parce que la société canadienne fonctionne différemment de la société marocaine. Je leurs dis alors qu'il faut s'impliquer, d'abord dans leur localité. Ils peuvent lire le journal, entrer en contact avec les organismes de leur milieu et travailler bénévolement pour acquérir de l'expérience. C'est ainsi qu'ils peuvent se faire connaitre et se faire apprécier parmi les gens qui ont des postes de responsabilité.
Dans quelles conditions vivent ces personnes qui rencontrent des difficultés ?
Selon les besoins, ces personnes ont accès à des services pour les accompagner. Leur cheminement va peut être prendre un peu plus de temps pour trouver l'emploi qui correspond à leurs qualifications. Parfois les gens arrivent au Canada avec des doctorats, maîtrises, diplômes d'ingénieurs, d'architecte etc.…mais ils ne peuvent pas exercer automatiquement avec ces profils parce qu'il y a des corporations professionnelles qui exigent la validation de la formation acquise à l'étranger.
Il ne s'agit pas pour autant d'un processus discriminatoire pour les immigrants; généralement ceux qui réussissent à se qualifier sont à pied d'égalité avec tous les autres citoyens mais ceux qui ne réussissent pas devraient retourner étudier pour avoir les qualifications requises ou changent carrément de discipline.
Le Maroc essaie d'avoir l'équivalence des diplômes marocains qu'en pensez-vous ?
Le Maroc n'est pas le seul pays à vouloir avoir l'équivalence parce que nous avons signé une entente avec la France pour la reconnaissance des acquis professionnels et des compétences. Il faut savoir qu'au Canada, le diplôme en soi n'est pas la clé qui donne accès au marché du travail. Il faut avoir une expérience de travail canadienne et connaitre la culture institutionnelle de l'entreprise. Certains immigrants acceptent de travailler dans un domaine connexe pour acquérir cette expérience de travail alors que d'autres choisissent d'étudier parallèlement. Lorsqu'ils sont prêts au bout de deux ou trois ans, ces derniers sont mieux outillés pour entrer sur le marché du travail. Je tiens à souligner que les Québécois d'origine marocaine nés au Canada ou arrivés petits sont parmi les meilleurs sur le niveau académique.
Ils réussissent bien à l'école, au marché du travail et s'intègrent bien grâce à leur connaissance de la culture et les références canadiennes. Ils n'ont pas besoin de rattraper le retard.
Estimez-vous que les Marocains sont assez impliqués dans le domaine politique au Canada ?
Les Marocains ont différentes histoires à succès à raconter au Canada. On les trouve dans les différentes sphères de la société : ce sont des médecins, des ingénieurs, des gestionnaires brillants dans l'administration publique et bien d'autres profils intéressants. L'exploration de la politique par la communauté marocaine est plus récente, il y a eu quelques candidats qui ont essayé de se présenter sous la bannière de différents partis politiques au niveau municipal et provincial. D'une manière ou d'une autre ce sont des gens qui essaient mais le résultat n'est pas encore là.
Parcours de femme
Première vice-présidente de l'Assemblée nationale du Québec et députée de la Pinière, Fatima Houda Pépin œuvre au rapprochement des différentes communautés. En 1994, elle était la première femme musulmane élue au Canada. «Tout le monde était sceptique que je puisse réussir mais j'ai gagné avec 10.000 voix de majorité et j'ai dépassé le député québécois francophone qui était avant moi. Je suis dans une circonscription majoritairement francophone avec 70 communautés culturelles différentes et à l'époque la communauté marocaine ne représentait même pas 50 votes », nous confie-t-elle. Impliquée dans le bénévolat au cours de ses études au Canada, entre 1976 et 1982, cette mère de deux filles voulait se destiner à l'enseignement universitaire et à sa famille.
Après avoir refusé plusieurs propositions pour entrer dans monde de la politique active, cette titulaire d'un doctorat en politique internationale a dû céder à la pression du Parti libéral du Québec pour remporter ainsi sa première victoire, et pas la dernière, dans le domaine de la politique. Elle a été la dernière candidate à avoir été annoncée par le Premier ministre du Québec.
6/6/2011, Nadia Ouiddar
Source : Le Matin