samedi 23 novembre 2024 17:09

Indignation? Non, Insurrection

Claude Guéant vient de diffuser une circulaire visant à réduire de moitié l'immigration dite « choisie ». En tant qu’expatriée et donc immigrée dans les pays que j'habite, je m'insurge.

Je m'insurge parce que Monsieur le Ministre exige des immigres qu'ils maitrisent « suffisamment » la langue française. Depuis quand payer son salaire de sa sueur dépend-il du nombre de fautes commises lors d'une dictée de Bernard Pivot ? Les français sont certes loin d'être analphabètes, mais je remarque surtout que le niveau de maîtrise de la langue française, qu'il soit écrit ou oral est assez bas, au point qu'il fait la joie des « buzzs », de la télévision et des zappings. Le snobisme linguistique ne fait la joie que d'une certaine classe sociale, c'est tant mieux. Si je suis la première à ne pas tolérer les mauvais niveaux de français, déformation familiale nuisante et nuisible, je ne tolère pas que l'on condamne quelqu'un parce que sa langue maternelle n'est pas le français.

Je m'insurge parce que cette circulaire ne vise que les immigrés originaires de pays d'Afrique, ou d'Europe de l'Est, mais ne l'avoue pas. Bien qu'un immigré anglais ne soit pas forcément en moyenne plus capable de maîtriser le français qu'un immigré sénégalais (qui en général le parle assez couramment). Je m'insurge parce que je parle 6 langues, et pas une correctement, mais que je pourrai toujours m'en servir pour justifier un salaire de 3000 euros parce que je suis BLANCHE.

Je m'insurge parce que mon dealer en parle sept, mais est dealer et non pas cadre, parce qu'il est ARABE.

Je m'insurge au nom de celui qui n'obtiendra jamais la nationalité française alors qu'il est né ici et est plus français que ceux qui la lui refusent (ce qui n'est pas difficile néanmoins), au nom de ceux qui croient en la France et sont parqués dans la crasse parisienne, au nom de Touffik, tabassé par les flics à 16 ans parce qu'il a volé un sac, au nom de mon kebab, de mes fringues made in China, de ma voiture allemande, de ma vodka polonaise et de ma musique rom (et non pas roumaine pour ceux qui les assimile).

Je m'insurge car je suis une immigrée qui a choisi de quitter son pays natal en partie par honte, pour trouver mieux ailleurs.

Je m'insurge parce que l'on me parle d'identité nationale, alors que seulement 6% des français le sont vraiment depuis 3 générations, le reste n'est qu'hypocrisie dirigée pour asseoir un égo en mal d'indignation populiste.

Je m'insurge au nom des 20 000 tunisiens bloqués entre la France et l'Italie à qui l'ont refuse un permis de séjour de 6 mois, au nom de l'immigration choisie (qui n'a acceptée que 400 personnes au lieu des 2000 prévues). Au nom de ceux qui peuvent mourir et que l'on vire à coup de pied en violant les lois édictées par les directives européennes, que l'on modifie Schengen pour asseoir sa popularité, que l'on crache sur les Droits de l'Homme en taisant les nombreuses condamnations de la France par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, ET la Cour de Justice de l'Union Européenne (et après on se demande où passent les impôts? Ben dans les amendes de l'Etat!Ah bon? )

Je m'insurge au nom du capitalisme qui exige l'immigration pour la prospérité de la France, car au vue de la situation actuelle, la France a besoin des immigrés pour faire face au chômage, aux problèmes liées aux retraites et à l'inflation.

Je m'insurge au nom de l'Europe qui se doit de s'unir au mépris des revendication nationalistes, qui n'ont toujours été que la cause d’extrémismes, autoritarismes, et plus rarement totalitarisme.

Je m'insurge au nom de la bêtise humaine, qui sous prétexte qu'elle mange du fromage a davantage le droit d'habiter une terre que celle qui mange du couscous (plat délicieux par ailleurs).

Je m'insurge avec mes mots, parce que peu de gens le font.

Je m'insurge, parce que j'entends les gens de tous les pays rire de notre bêtise.

Je m'insurge car je me sens orpheline de nation. Je m'insurge car je préfère hurler avec mes propres mots que de « bouffer le système » par colère et dépit. Mais qu'un jour viendra où, lasse, j'abdiquerai et abandonnerai mes valeurs pour devenir un des leurs.

En deux semaines, on découvre un futur président violeur, un ministre prédateur, et un « homme puissant » pédophile (ce dernier dont le nom est toujours inconnu). En tant que femme, je m'insurge.

Je m'insurge parce que je suis un sous-homme, c'est-à-dire une femme, et qu'à ce titre, je n'ai pas le droit de m'insurger.

Je m'insurge au nom de toutes les femmes se sentant objets et qui ne trouvent pas mieux que d'user de leurs jupes pour arriver à leurs fins, puisque c'est pour elles le seul moyen d'être entendues (de lą ą etre ecoutees...)

Je m'insurge, essoufflée de fuir un pays qui me fait honte. Je m'insurge aujourd'hui et le fuirai de nouveau demain.

Mais finalement, je ne m'insurge pas vraiment. Je fais de mon mieux pour assumer le fait d'être française, et de ne pas pouvoir en être fière.

05 Juin 2011,  Alicebarbe

Source : Médiapart

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