Cris de singe, jets de banane, banderoles xénophobes, insultes racistes sont monnaie courante dans les gradins des stades, sur la pelouse, entre joueurs, chez les professionnels comme chez les amateurs. Ce qui ne cesse d’inquiéter le ministère de l’Intérieur et des associations telles la Licra, La Ligue des droits de l’homme, le Mrap. Dans toutes les strates de l’institution du football, la parole raciste s’est libérée ; elle s’est partout banalisée malgré Football Against Racism in Europe, Stand up Speak up et autres Non au racisme.
Le ver était dans le fruit. Une bien curieuse exultation chauvine sinon nationaliste s’était manifestée au moment de la victoire de 1998 pour une équipe de France multiethnique, multicolore, exhibée comme l’agrégation enfin réussie d’individus d’origines si diverses. Ediles politiques, artistes, intellectuels, universitaires, journalistes, écrivains multiplièrent les déclarations exaltées sur l’intégration des immigrés dans la société française grâce au seul football et surtout grâce à la victoire de cette fameuse équipe «black-blanc-beur». Très nombreux furent ceux envoûtés par cette victoire sportive et qui s’abandonnèrent ainsi aux délices de l’ivresse footballistique en abandonnant tout recul critique devant la fable d’une équipe de football capable, grâce à son métissage, de battre les meilleures équipes du monde, mais surtout - et le mélange des genres était très pervers - de tacler, balle aux pieds ou sur un coup de tête magique, des années de racisme, de lober la xénophobie, de dribbler l’histoire coloniale. Les résultats positifs et si rapides au football remplaçaient ceux tellement lents et souvent faibles de la politique traditionnelle.
Juste après la victoire, une lave tricolore telle une masse coagulée d’individus identifiés à de nouvelles icônes se répandit sur les Champs-Elysées hurlant à tue-tête ce funeste «Zidane Président !» devant le portrait géant du demi-dieu projeté sur l’arc de Triomphe. La chape de plomb d’un discours qui deviendra compulsionnel sur l’intégration des immigrés par le biais du football s’abattait sur la société française. Les voies du changement social n’étaient plus tracées par la Révolution ou la réforme mais par le football en tant que principale manière de résoudre la lancinante question de l’intégration. Les banlieues dites sensibles furent, dès lors et très vite, livrées au football supposé rédempteur et aux nouveaux sauveurs de la République et leurs crampons, dans une parfaite unanimité politique. Malgré des flots d’argent déversés dans cette entreprise de «footballisation» des territoires et des esprits, ce ne seront au final que piètres résultats en termes d’intégration.
En octobre 1998, SOS Racisme osait placarder une affiche dans le métro représentant le dos d’un maillot d’un joueur de l’équipe de France expulsé lors d’une rencontre du Mondial et sur laquelle on pouvait lire cette phrase inouïe : «Ce soir-là tous les Français ont été scandalisés par l’expulsion d’un black.» Sans doute ironique, l’affiche fustigeait une sanction pour une faute grave, mais le footballeur en était exonéré grâce à la couleur de sa peau… Suivit le match, pas vraiment amical, France-Algérie de 2001 au cours duquel la Marseillaise fut sifflée, le terrain envahi. Le 21 avril 2002, le Front national paradait lors de l’élection présidentielle. Le football n’avait rien pu endiguer du retour du refoulé d’une histoire coloniale non dénouée et de la montée implacable d’un parti raciste et xénophobe. Avec la défaite aux Mondiaux coréen (2002) et allemand (2006) et le coup de boule de Zidane commença le désamour des Français pour une équipe qui ne gagnait plus.
L’allégorie de la promotion sociale et de la nation retrouvée par le biais du football s’étayait sur une autre grande élucubration : la transposition littérale et insensée entre le football et la politique. «Le monde du sport est le seul à continuer d’offrir aux jeunes d’origines les plus diverses, sociales, géographiques et ethniques, l’espoir d’atteindre les sommets et de contribuer à la réussite collective […]. Formidable passeur sur le terrain de jeu, Zidane doit aussi l’être sur celui de l’intégration.» (Le Monde, 6 août 2004). En 2010, l’équipe de France toujours black-blanc-beur acheva de s’effondrer dans le ridicule d’une grève de l’entraînement. Désormais cette équipe, parce que justement black-blanc-beur, était vilipendée par ceux-là mêmes qui l’avaient tant célébrée. Le bilan de l’intégration par le football s’exprimait ainsi : «caïd immature», «racaille», «voyou»…
Dernière affaire en date : les quotas et des propos de dirigeants de la Fédération du football français sur les «binationaux» discriminatoires et ressortissant au thème extrémiste de la préférence nationale. Tout ceci, là encore, vient du football, surgit de ce sport supposé intégrateur mais jamais d’autres lieux comme le théâtre, l’opéra, ou encore le cinéma. La diversité ethnique, la différence visible, le mélange des origines, le fameux «vivre ensemble» dont le football se voulait pourtant le magnifique creuset ont visiblement volé en éclats sous les coups de boutoir de la réalité beaucoup moins enchantée d’un fléau social qui charrie, entre autres, un racisme qui apparemment lui colle à la peau.
Quelle influence positive le football avait-il jamais eu durant toutes ces années sur l’intégration réelle des immigrés, une intégration non pas au football, mais à la société tout entière ? Ce fut plutôt la désintégration de toutes les valeurs historiques de lutte, de solidarité et d’émancipation sociales et politiques que le football avait manipulées et retournées en leur contraire. Cette solidarité, cette fraternité, cette harmonie dont la couleur de la peau ou l’origine ethnique avaient été des années durant l’étendard et la garantie, et dont le football avait été le principal vecteur, furent définitivement réduites à zéro par les défaites sportives successives et produisirent un relent de racisme dans le football.
7/6/2011, MARC PERELMAN
Source : Libération