samedi 23 novembre 2024 16:48

A «Choucha», entre le feu libyen et le rêve d’Europe

ans ce camp de réfugiés planté côté tunisien à quelques kilomètres de la frontière, 3 500 Subsahariens désespèrent de trouver un pays d’accueil qui leur permettrait de quitter cette «prison à ciel ouvert».

«Nous, les Ivoiriens, on nous fait tourner en bourrique. L’office des réfugiés nous avait promis une terre d’asile digne. Maintenant, ils ne veulent même plus nous recevoir. Ici, c’est une prison à ciel ouvert», affirme Moussa, 34 ans. Lui et six compatriotes partagent une tente modeste depuis le 16 mars, lorsque la guerre en Libye les a obligés à fuir pour rejoindre «Choucha», un vaste camp peuplé de 3 500 réfugiés subsahariens, à une poignée de kilomètres du poste-frontière tuniso- libyen de Ras Jedir.

Des milliers d’Africains, pour la plupart employés dans la région de Tripoli, y ont afflué depuis le début du conflit. Sur les 320 000 personnes passées par le camp, la plupart ont été rapatriées : Egyptiens, Bangladais, Ethiopiens… Mais d’autres ressortissants refusent catégoriquement le retour dans leurs pays d’origine plongés dans l’instabilité ou la guerre, Nigérians, Ivoiriens, Somaliens, Soudanais…

«Cauchemar». Autour de la tente de Moussa, à l’extrémité orientale du camp bordé d’une montagne de plastique, c’est le «quartier» des Ivoiriens. Une petite centaine y réside, musulmans pour la plupart. Ils se disent «très soudés» et assurent que la solidarité les aide à supporter un «cauchemar» qui s’éternise. En Libye, ils étaient maçons ou peintres en bâtiment, gagnaient dignement leur vie et envoyaient de l’argent (100 à 150 dollars, entre 70 et 100 euros) à leurs familles. Avec la guerre, la chute a été brutale. D’autant que, sur le chemin vers le camp, les troupes kadhafistes les ont détroussés - argent, téléphones, vêtements…

Ibrahim avait quitté son pays en 2007, mais n’imagine même pas y retourner : «La Côte-d’Ivoire, c’est impensable. Pour certains, c’est la mort, pour d’autres, la honte de revenir bredouille et d’être une charge pour la famille.» A côté de lui, vêtu d’un tee-shirt d’Alpha Blondy, «Samouraï» résume leur dilemme à tous : «Les solutions ? Elles sont toutes mauvaises. Si aucun pays occidental ne nous accueille, je préfère encore repartir pour la Libye en guerre ou tenter ma chance par la mer.»

Prisonniers de ce bout de Tunisie, rares sont les Subsahariens qui n’ont pas pensé à gagner l’Europe via l’île italienne de Lampedusa. Même si tous savent que la traversée est ultra-périlleuse. Elvis, 23 ans, est nigérian. Face aux tentes du Croissant-Rouge et du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), il se désespère : «Je suis d’Odi-Bayasa, un village criminalisé par nos autorités depuis 1999. Si je retourne là-bas, je suis un homme mort. En Tunisie, je ne peux pas circuler ; en Libye, c’est la guerre. Ou je me pends, ou je tente le tout pour le tout à Zuara.»

Zuara est à une heure de route, passé la frontière : c’est là d’où partent les traversées pour Lampedusa, moyennant 100 dollars par tête. La mer y est souvent mauvaise, et les embarcations, saturées. «C’est la roulette russe, dit Elvis. Il y a beaucoup de chances de faire naufrage. Les passeurs libyens touchent l’argent et se lavent les mains du danger. Dans ma tente, sur dix personnes, huit ont tenté le coup ; aucune n’est revenue.» La veille, explique un volontaire d’«Action islamique», 180 Somaliens ayant évité par miracle le naufrage sont revenus au camp ; mais, assure-t-il, ils sont des centaines à avoir péri en mer.

«Oubliés». Beaucoup, toutefois, entretiennent le fol espoir d’être accepté par un pays d’accueil. Même si les heureux élus sont très rares (surtout des Erythréens et des Soudanais, choisis par la Suisse et le Canada), ils traînent leur ennui dans un camp qui semble s’installer dans la durée : le terrain de football a été soigneusement tracé, militaires tunisiens et ONG y ont élu domicile, la Croix-Rouge construit un édifice en brique pour forer de l’eau douce - jusqu’à présent, l’eau dite «potable» provoque des maladies et suscite la colère des réfugiés. Seules les femmes ou les enfants ont droit à de l’eau minérale et à des boissons vitaminées.

A midi et à la nuit tombée, rituel bien huilé, d’immenses files d’attente se forment à l’entrée du camp pour la distribution des repas. C’est le moment où les tensions s’exacerbent. «Soudanais, Ivoiriens et Somaliens s’étripent, explique un colonel tunisien. Cela commence par de petites disputes et finit par des luttes violentes, avec des blessés graves. Pour calmer le jeu, j’ai été obligé de nommer des délégués qui jouissent du respect dans chaque communauté. J’espère qu’ils trouveront un asile pas trop tard, parce que si cela dure, cela deviendra ingérable.»

Sur place, Médecins sans frontières a mobilisé quatre psychologues pour atténuer les souffrances. «Le pire, c’est l’incertitude, ils se sentent oubliés de tous, dit la coordinatrice Marie-Adèle Salem. Cela crée de terribles tensions avec la population autochtone voisine.» Depuis le 20 mai, une grosse moitié du camp a été pillée et saccagée. Quatre Erythréens sont morts dans des incendies. Le HCR a tiré la sonnette d’alarme, pour que la communauté internationale aide à mettre fin à ce «cauchemar».

8/6/2011, FRANÇOIS MUSSEAU

Source : Libération

 

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