samedi 23 novembre 2024 16:48

Pour une politique migratoire à l'épreuve des faits

Lorsque l'Allemagne a annoncé l'arrêt de son programme nucléaire quelques semaines à peine après la catastrophe de Fukushima, le gouvernement français a été prompt à dénoncer une décision "politique", prise "sous la pression des événements" et sans considération pour les enjeux de long terme que sont la compétitivité et la réduction des émissions de CO2. La cause est entendue : la panique est rarement bonne conseillère.

Cette sagesse en matière énergétique contraste avec les à-coups de la politique migratoire menée par ce même gouvernement français et par ses partenaires européens au cours des dernières années. La réforme de la Convention de Shengen, exigée par MM. Fillon et Berlusconi suite à l'arrivée massive de réfugiés tunisiens sur l'île de Lampedusa est un premier exemple de cette gestion "à chaud" de nos flux migratoires. A peine plus ancien, le projet de loi élargissant la déchéance de nationalité juste après l'affaire Liès Hebbadj donne le même sentiment d'empressement.

Certains y voient une expression de la démocratie. Après tout, si les électeurs soutiennent majoritairement ces politiques, la messe est dite. Mais c'est nier le rôle de l'information dans la formation des opinions. Or ce qui frappe le plus dans les débats récents, c'est la pauvreté de l'argumentaire du gouvernement quant à l'efficacité de sa politique "protectrice". Hélas, on n'entend pas davantage les économistes et les démographes sur ces questions.

Dans ce contexte, la publication de nouvelles études sur l'impact économique des migrations apporte une bouffée d'air frais à tout ceux qui tentent de prendre un peu de recul. Celles-ci convergent pour démontrer que si l'immigration est impopulaire, c'est avant tout car les débats portent essentiellement sur son coût et rarement sur ses bénéfices.

Pas question de faire de l'angélisme ici : l'immigration a un coût. Elle a d'abord un coût humain, celui de migrants, arrachés pour bon nombre d'entre eux à leurs familles et qui parfois périssent dans l'accomplissement de leur destin. Elle a aussi un coût social quand leur intégration dans le pays d'accueil est mal préparée et leur contribution à la richesse nationale mal expliquée. Enfin, elle a un coût économique, qui se mesure par un taux de chômage a priori plus élevé que la moyenne nationale et qu'il faut bien payer.

Ce coût est-il correctement estimé ? Il est permis d'en douter. D'abord parce que les statistiques sérieuses manquent. A défaut, les décisions sont prises sur la base de témoignages. Ensuite parce que le peu de chiffres disponibles amalgament souvent migrants et français de deuxième ou troisième génération, dont l'accompagnement ne relève pas de la politique migratoire. Enfin, il y a ce vieux travers humain qui fait qu'on se passionne pour le migrant chômeur ou délinquant, mais qu'on tourne le dos à celui qui, silencieusement, travaille, paie ses impôts et éduque ses enfants.

Le plus important dans cette affaire, comme l'explique l'excellent livre de Ian Goldin, Geoffrey Cameron et Meera Balarajan de l'université d'Oxford, c'est que l'essentiel du coût engendré par les migrants est supporté par un faible nombre de localités (nos banlieues) et de catégories sociales (les moins qualifiés), créant des tensions localement intolérables. A l'inverse, le bénéfice de cet échange est lui diffusé uniformément sur l'ensemble du territoire, ce qui déforme encore plus notre perception des choses. Pour qu'une économie prospère et soit à même de financer ses dépenses sociales, elle a besoin de capital, de travail et d'innovation. Or, tout laisse à penser qu'une politique migratoire plus ouverte et mettant davantage l'accent sur l'intégration favoriserait l'Europe sur au moins deux de ces facteurs.

D'abord, en fournissant les jambes et les bras qui nous feront cruellement défaut lorsque nos baby-boomers auront déserté les entreprises et les usines pour les tables de bridge et d'opération. Ensuite, en bousculant nos habitudes et en stimulant la création. Rappelons ici qu'un quart des demandes de brevets internationaux déposés aux Etats-Unis le sont par des migrants de première génération alors que ces derniers ne représentent que 12 % de la population. Des entreprises telles que Google, Intel, Paypal, eBay et Yahoo ont été créées par des migrants de première génération. Enfin, la main d'œuvre moins qualifiée nous sera tout aussi utile pour développer les services à la personne, dont le potentiel économique est significatif, tout comme leur impact sur notre qualité de vie.

Sur la base des chiffres disponibles, on ne peut pas exclure qu'il existe une corrélation positive entre immigration et niveau de compétitivité ; mais notre connaissance des faits est encore trop fragile et d'autres travaux nous permettront d'affiner cette observation. En tout état de cause, si notre pays part du postulat inverse pour fonder sa politique économique et sociale, il est permis de s'inquiéter pour son avenir.

10.06.11, Arnaud Vaganay

Source : Le Monde

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