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Les doubles nationaux servent de boucs émissaires"

Sans surprise, la Commission des lois de l’Assemblée nationale, a «autorisé la publication», hier, du rapport de la Mission d’information sur le droit de la nationalité. Ce texte, œuvre quasi exclusive du député UMP de Paris, Claude Goasguen, soumet notamment l’acquisition de la nationalité française par mariage ou naturalisation à «la renonciation expresse du déclarant» à sa nationalité étrangère.

Patrick Simon est sociodémographe à l'Institut national des études démographiques (Ined). Avec Vincent Tiberj, chargé de recherches à la Fondation nationale des sciences politiques, il a rédigé un chapitre traitant de l'appartenance nationale à paraître dans l'ouvrage présentant les principales analyses de l'enquête TeO (trajectoires et origines), réalisée par l'Ined et l'Insee. Il révèle quelques données de ces analyses à Libération.

Y a-t-il concurrence ou complémentarité des identités nationales chez les binationaux?

L'idée que l'appartenance fonctionne selon un principe basique de vase communicant est très répandue, mais elle est fausse. L'observation montre qu'il ny a pas de compétition entre les identités nationales chez les immigrés et leurs descendants. Les doubles nationaux se sentent autant Français que de leur pays d'origine. Ainsi, bien que l'on constate une moindre intensité du sentiment national français chez les descendants d'immigrés par rapport à la population majoritaire, celle-ci ne s'explique pas par un surcroît d'appartenance nationale envers le pays d'origine des parents. Illustration : les descendants d'origine algérienne sont 69% à affirmer fortement se sentir Français, ils ne sont que 34% à penser de même pour l'Algérie; pour les descendants d'origine sahélienne les proportions sont de 51% et 40%, et pour les descendants d'origine asiatique de 65% contre 29%. Nous observons l'émergence d'une pluralité d'identités nationales, dont les modalités d'expression varient, mais qui cohabitent sans trop heurts chez la plupart des immigrés et de leurs descendants. On peut en dire autant d'ailleurs des originaires de l'Outre-Mer qui articulent l'attachement à leur région d'origine avec leur appartenance nationale dans une dialecique finalement assez proche de celle vécue par les immigrés.

Que pensez-vous de la volonté des auteurs du rapport de décourager la binationalité?

Ce rapport est très retors. Goasguen pense qu'il faut revivifer l'appartenance à la Nation, mais il a une vision datée de ce qu'est la Nation. Il est encore dans une vision d'allégeance unique qui ne correspond pas au vécu des Français d'aujourd'hui. Dans son rapport, il pose la question de l'attachement à la nationalité française et du renforcement de l'identité nationale. Et il y répond en disant qu'il faut affirmer la suprématie de l'identité française pour la revitaliser, et envisage des solutions de type disciplinaire pour imposer l'exclusivité. Il va à rebours des évolutions en cours et risque de provoquer stigmatisation et crispation identitaire. A chaque fois que des choix sont imposés, ils remettent en question la légitimité de la référence à la Nation. C'est du reste un terrible aveu de faiblesse et de manque de confiance dans l'identité nationale que d'en parler autant, et toujours sur le mode du défaut d'appartenance. Les doubles nationaux servent de boucs émissaires pour une évolution qui touche toute la communauté nationale. Qu'est-ce qu'être Français aujourd'hui ? La question se pose à tout le monde. Et s'il y aune crise d'identité, il y a d'autres explications à chercher du côté de la perte de confiance dans l'Etat pour assurer le bien être collectif ...

Le rapport évoque des dangers liés à la double allégeance, vieille lune?

Il y a une obsession autour des conséquences en cas de guerre. Cela revient réguièrement, en dépit de l'absence de précédents historiques validant ces craintes. On peut vraiment parler d'une paranoia, qui a eu de terribles conséquences avec l'internement des Juifs allemands avant 1940, alors même que les fameuses "5e colonne" n'ont tout bonnement jamais existé. Pas plus les Italiens vivant en France avant la seconde guerre mondiale que les très nombreux Allemands y résidant avant 1914 n'ont pris les armes contre la France. Les Nippo-américains ont fait l'objet d'internements en 1941 et cela reste une tâche sur la démocratie américaine. On n'a jamais vu d'anciens ressortissants se diriger massivement vers leur pays d'origine lors d'un conflit. Et dans le contexte actuel, ces craintes paraissent totalement surréalistes. Elles masquent une autre problématique, beaucoup plus perverse, sur l'allégeance des Musulmans vivant en France. Et là, il s'agit moins de double nationalité que de loyauté envers une idéologie ou une religion, sur un mode assez similaire à celui utilisé à l'égard des communistes dans l'entre-deux guerres et pendant la guerre froide. Or nos données montrent que les Musulmans de France se sentent aussi Français que tout le monde. Par contre, nous observons qu'lls subissent plus de discrimination et sont moins souvent vus comme Français.

A ce propos, la Commission nationale consultative des droits de l'homme signale, dans son rapport 2010, une montée de la xénophobie, cela ne risque-t-il pas de faire diminuer le sentiment national français chez les binationaux?

C'est là l'autre enseignement principal de notre enquête : ce sont les phénomènes de rejet qui pèsent sur le sentiment national. Les Français d'origine maghrébine, africaine et asiatique, ainsi que les originaires de l'Outre-Mer, sont plus souvent renvoyés à leurs origines et considèrent qu'ils ne sont pas vus comme des Français. Ce n'est pas le cas pour les Français d'origine européenne, alors même qu'ils peuvent garder des liens importants avec leur pays d'origine ou celui de leurs parents. Ce n'est pas le sentiment national qui diminue parmi les minorités visibles, c'est la société qui a du mal à se représenter l'identité nationale en différentes couleurs. Il faudrait actualiser nos représentations, mais le rapport ne va malheureusement pas dans la direction d'une plus grande ouverture à la diversité.

29/6/2011

Source : Libération

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