À entendre les associations, les étrangers vont, une fois encore, faute d'inscription, bouder en masse les urnes. Et déjà, on pointe du doigt suite à la question récurrente : à qui la faute?
Ce soir s'envolera la dernière chance, pour les étrangers qui peuvent s'inscrire, de participer aux élections communales.
Pour l'Association de soutien aux travailleurs immigrés, c'est déjà plié: «Même en tenant compte des étrangers qui ont obtenu la double nationalité, je pense qu'il y aura le même faible taux de participation des étrangers que les années précédentes, sinon un peu mieux», estime sa présidente, Laura Zuccoli.
Et de rappeler la triste réalité : parmi ces étrangers qui résident au Luxembourg et qui représentent 43% de la population totale, une poignée sont inscrits sur les listes. En 2005, ils étaient à peine 15%.
Et cette année, l'ASTI n'aura même pas attendu la fin des inscriptions, ce 14 juillet, pour tirer à boulet rouge sur l'Office luxembourgeois de l'accueil et de l'intégration (OLAI) et sa campagne «Je peux voter», réalisée à l'attention des étrangers en vue de leur inscription sur les listes électorales dans le cadre des communales...
Liste de griefs (non exhaustive) : le site jepeuxvoter.lu n'aurait été mis à jour que début juillet, et l'inscription par le biais d'internet n'y est mentionnée nul part; la répartition des fonds pour la campagne aurait été particulièrement opaque; peu de ponts auraient été créés entre la campagne officielle et les associations; les politiques n'auraient pas joué le jeu, etc., etc.
Point culminant de ce «manque de communication et de coordination», la journée nationale des inscriptions, le 18 juin dernier. Pour Serge Kollwelter, «Pas besoin d'embaucher une boîte de communication pour deviner que c'était le meilleur jour pour concentrer les actions de sensibilisation.» Ce qui, de la presse jusqu'aux communes, n'a pas été le cas, déplore ce membre de l'ASTI.
Résoudre la question du vote obligatoire
Mais cette association n'est pas la seule à avoir réalisé un bilan de la campagne. Le comité de liaison des associations d'étrangers (CLAE) et le centre d'étude et de formation interculturelles et sociales (Cefis) sont eux revenus sur les réunions publiques auxquelles ils ont participé entre février et juin, et qui leur a permis d'avoir «une certaine perception de la pratique de la citoyenneté locale».
Dans un communiqué, les deux associations évoquent les raisons profondes de cet échec politique. «Ce qui est perçu comme un manque d'intérêt pour la participation politique, voire un refus d'intégration, nous nous sommes attachés à le situer dans le contexte d'une histoire migratoire, d'une réalité sociologique et d'une réalité politique qu'est l'abstentionnisme généralisé dans bien des pays, ou encore la méconnaissance du paysage politique du Luxembourg.»
Bref, les étrangers ne seraient ni armés ni conditionnés à participer à la vie politique. Solution prônée pour réduire la distance entre l'univers politique et cette population : «S'appuyer davantage sur des relais que pourraient être des associations issues de l'immigration, des lieux de convivialité, des personnes.»
Autre doléance, exprimée cette fois par les principaux intéressés : résoudre la question du vote obligatoire, «débattue dans toutes les réunions publiques», et celle de la barrière de la langue. Autre regret : «celui de la clôture des inscriptions fixée au 14 juillet, alors que ni les candidats, ni les programmes ne sont connus», termine le communiqué.
Mais avant de tirer les conclusions qui s'imposent, il reste encore à attendre la fin des inscriptions pour que cette tendance pessimiste se traduise - ou pas - en chiffres concrets et une fois encore, accablants...
Laura Zuccoli: «L'enjeu n'est pas passé»
L'OLAI en prend pour son grade, mais elle n'est pas seule : selon Laura Zuccoli, les politiques, les Luxembourgeois et les étrangers eux-mêmes portent aussi une responsabilité dans le désintérêt récurrent pour les élections.
Vous venez de réaliser un bilan sévère de la campagne de sensibilisation aux élections communales, alors même que les inscriptions n'étaient pas achevées. Pourquoi cet empressement?
Laura Zuccoli : Ces critiques étaient une façon de relancer le débat avant la fin des inscriptions. On voulait faire le bilan politique de la campagne, que les partis politiques soient plus conscients de leur rôle.
... et de leur manque d'implication, à vous entendre.
Parce qu'on ne les a pas vus! Les politiques, et je le regrette, ont surtout culpabilisé les étrangers en leur reprochant de ne pas faire assez d'effort. Les politiques auraient dû plutôt se remettre en question, et réfléchir à une démarche inclusive : l'étranger vient avec son passé, que faire pour l'intéresser, l'inclure?
On a pourtant vu des partis réaliser des actions en ce sens...
Oui, il y a eu de bonnes volontés chez certains, mais est-ce que cela a été relayé et amplifié suffisamment au sein de l'appareil politique? Non.
Bref, selon vous, le message de la campagne, "Je peux voter", n'est pas passé?
Je dirais plutôt que l'enjeu de l'inscription n'est pas passé.
Les résidents étrangers n'ont-ils pas aussi leur responsabilité dans cet échec?
C'est évident que cela dépend aussi d'eux. Et il y a des communautés plus difficiles que d'autres.
C'est-à-dire?
Par exemple, les Portugais ont généralement plus de mal à se mobiliser. Ce n'est pas pour leur jeter la pierre. Je pense qu'ils sont réellement intéressés par les enjeux locaux, mais ils ne veulent pas forcément s'engager, ou ne peuvent le faire car ils ont d'autres soucis. C'est un désintérêt politique qui existe déjà au Portugal, et qui a des répercussions ici.
Pour justifier leur manque d'engagement, les résidents étrangers invoquent souvent la barrière linguistique...
C'est vrai. Et je le dis souvent aux partis politiques : faites des traductions orales lors de vos interventions! Un parti politique vient par exemple d'éditer son programme uniquement en luxembourgeois, c'est aberrant.
Mais l'intégration ne passe-t-elle pas également par l'apprentissage de la langue du pays d'accueil?
Oui mais c'est difficile au Luxembourg, d'autant qu'il y a trois langues utilisées! Cela dit, beaucoup d'étrangers comprennent le luxembourgeois, plus que vous ne le croyez.
Vous dénoncez la condition des cinq ans de résidence, nécessaire pour pouvoir s'inscrire….
On revendique ce qui est dans l'accord de Maastricht. Le Luxembourg a demandé cette dérogation des cinq ans, mais le principe de base, que l'on souhaite, c'est l'inscription d'office. La situation actuelle est une discrimination pour les Luxembourgeois qui, eux, sont obligés de voter.
ais certains étrangers redoutent justement cette obligation.
C'est vrai qu'il y a cette peur qui revient souvent : et si le jour-là, je ne peux pas voter? Mais il y a toujours des solutions, comme le vote par correspondance.
Reste la peur de la sanction...
Il y a une amende, voire de la prison qui sont prévus pour ceux qui ne votent pas, mais la réalité c'est que ces sanctions ne sont pas appliquées. Les Luxembourgeois le savent, et de plus en plus ne vont plus voter.
Existe-t-il une volonté d'exclure le vote étranger? La xénophobie est-elle marginale, ou taboue?
C'est une réalité en tout cas. On l'a vu par exemple lors du projet Mom (NDLR : sur les migrations et les identités au Luxembourg), avec 6000 jeunes participants. Les problèmes entre Luxembourgeois et étrangers ressortaient plusieurs fois. Il y avait notamment un malaise avec les frontaliers sur le thème du marché de l'emploi. C'est une méconnaissance mutuelle qu'il faut donc combattre très tôt.
Le monde politique luxembourgeois est-il, lui aussi, frileux quant à la montée du vote étranger?
On se pose justement la question : au niveau de la direction des partis, y a-t-il une volonté d'offrir une place aux étrangers? La réponse est rarement claire. À mon grand étonnement, le partage des pouvoirs n'a pas vraiment été évoqué. Mais moi, je dis aux politiques : si vous ne saisissez pas la portée du déficit de représentativité des étrangers, vous aurez des problèmes plus tard. En attendant, sur le terrain, on voit comment ça se passe. Quand un comité d'école se forme avec des parents d'origine étrangère, quelle doléance la commune retient-elle? Celle des parents ou des enseignants? Celle des enseignants, parce que les parents étrangers ne représentent pas un lobby électoral.
Que préconisez-vous ?
Il faut être proactif. Et si pour cela, il faut parfois mettre en place une discrimination positive, en donnant la possibilité aux étrangers d'exister davantage, alors je suis pour. Le problème, au Luxembourg, c'est que l'on dit qu'il faut déjà s'inscrire, et après tu en profites. Moi je dis le contraire, il faut faire naître les conditions d'appartenance, créer de l'intérêt pour la vie locale, et après l'engagement en découlera.
Un message pour ceux qui disposent encore de quelques heures pour aller s'inscrire?
… et qui peuvent poser un congé pour aller le faire avant 17 h (rires)… Je crois qu'il faut vraiment que les étrangers n'aient pas peur de s'inscrire. Beaucoup pensent, à tort, qu'ils ne seront pas à la hauteur de leur devoir civique. De l'autre côté, les Luxembourgeois ne doivent pas avoir peur des étrangers. On est pareil, tout le monde a les mêmes préoccupations, famille, emploi, logement… Des sujets qui se répercutent de façon très concrète dans les communes, donc profitons-en en allant voter.
14/07/2011, Romain Van Dyck
Source: Le Quotidian