Les révolutions arabes ont déclenché une vague de migration vers l’Europe. À la frontière franco-italienne, le Secours Catholique, Caritas Monaco et Caritas Vintimille viennent en aide aux migrants. De notre envoyée spéciale
Tristesse et désarroi se lisent dans les yeux d’Abderrazak, jeune Tunisien de 25 ans, immigré en Italie. Plusieurs fois, pourtant, son visage doux et juvénile s’éclairera d’un sourire, par politesse pour ses visiteurs. Mais il n’a qu’une idée en tête : prendre le premier train au départ de Vintimille, en Italie, pour gagner la France.
« Les Tunisiens ne sont toujours pas libres, même après la révolte. Il faudra un certain temps pour que la démocratie s’instaure », estime-t-il. En désespoir de cause, le jeune homme a quitté son pays, en quête de liberté et d’un travail. Selon les observateurs tunisiens, la révolution a exacerbé des problèmes déjà existants, dans une conjoncture économique très difficile. Et cette instabilité affecte le tourisme. Sans parler des investisseurs qui n’aiment pas les situations imprévisibles.
Abderrazak a donc quitté sa famille et un emploi qui ne lui permettait pas de vivre, pour tenter sa chance en Europe. Pour 1 500 euros, il a traversé la Méditerranée jusqu’à Lampedusa, île italienne au large des côtes tunisiennes. « Ma mère a vendu tous ses bijoux pour me payer ce voyage », raconte-t-il. Mais ce sacrifice lui pèse. « J’aimerais rentrer en Tunisie, car la vie est dure ici. Mais je refuse de revenir auprès de ma mère les mains vides ! » s’exclame-t-il. Lorsqu’il lui téléphone, il raconte qu’il est hébergé par un ami italien et qu’il a trouvé du travail. « Moi, un musulman, je dois mentir à ma propre mère pour ne pas la peiner ! » se désole-t-il.
Solidarité entre Caritas.
En réalité, comme plus de deux cents migrants tunisiens bloqués à Vintimille dans l’espoir de passer en France, Abderrazak dort où il peut. Souvent sur la plage, dans les jardins publics. Jusqu’au début du mois de juin, il pouvait aussi trouver refuge dans une salle de la gare réservée à cet effet. Ou même, parfois, dans un centre ouvert spécialement par la mairie, qui depuis le 28 mars permettait d’accueillir environ 130 Tunisiens.
Or depuis le 6 juin, à la demande des commerçants de Vintimille soucieux de l’impact négatif d’une telle activité sur l’économie touristique, la préfecture de Ligurie a décidé de fermer le centre et l’accueil dans la gare. Une décision dommageable pour les migrants qui, durant deux mois, avaient eu au moins le sentiment d’être traités à peu près comme des êtres humains.
Tous les soirs à 18 heures, le centre ouvrait ses portes. Les Tunisiens arrivaient du centre-ville dans des cars spécialement affrétés. Une heure plus tard, les migrants attendaient patiemment en file indienne le long du bâtiment. À l’intérieur, trois bénévoles préparaient la distribution d’un repas.
Jacques, un Français de Menton, avait apporté son aide à cinq reprises. Son travail consistait à présenter les vivres fournis par la Protection civile et la Croix-Rouge italienne qui gèrent le centre. Ce bénévole, responsable d’équipe au Secours Catholique, était venu, comme un autre bénévole de l’association et le responsable diocésain de Caritas Monaco, prêter main-forte à Caritas Intemelia, la Caritas de Vintimille. Celle-ci distribuait deux soirs par semaine les repas dans le centre d’accueil. D’autres associations italiennes se chargeaient des autres soirs.
« Le Secours Catholique et Caritas Monaco ont voulu faire un geste de solidarité envers la Caritas italienne », explique Michel Fraisse, délégué du Secours Catholique des Alpes-Maritimes. « Deux bénévoles du Secours Catholique et un bénévole de Caritas Monaco sont donc venus chaque lundi s’occuper de la distribution des repas. Caritas Intemelia prenait en charge le mardi. La plupart des migrants se trouvant à Vintimille pour tenter de rejoindre la France, observe-t-il, il était normal que nous prenions notre part de responsabilité. Malgré cette fermeture, nous restons vigilants quant à l’évolution de la situation et nous nous tenons prêts à agir au cas où… »De fait, début juin, les migrants “dérangeants” ont été transférés vers d’autres régions du nord de l’Italie. Caritas Intemelia s’attend à l’arrivée de nouveaux migrants à Vintimille qui auront toujours pour objectif de rejoindre la France. Pourtant, et malgré le laissez-passer accordé par l’Italie pour circuler dans l’espace Schengen, très peu de Tunisiens parviennent à rester en France. Ainsi Walid, 21 ans, qui en moins de vingt jours a traversé cinq fois la frontière, pour être ramené à chaque fois à la case départ par la police française.
À Nice, ceux qui ont réussi à passer se font discrets. On en retrouve quelques-uns au Tremplin, l’accueil de jour du Secours Catholique. Devant le local, Mehdi, un café à la main, fume une cigarette en attendant que sa lessive se termine. Il n’est pas le seul Tunisien à connaître l’adresse, mais la majorité des bénéficiaires du Tremplin sont surtout originaires d’Afrique, quand ils ne sont pas Français. « Cet accueil est destiné aux jeunes de 18 à 30 ans. Au départ pour des Niçois. Mais depuis quelques années, nous voyons de plus en plus de jeunes étrangers », explique Gérard, bénévole responsable de cet accueil.
Depuis les années 2000, les Alpes-Maritimes connaissent une hausse du nombre des migrants, d’abord venus de Tchétchénie, et plus récemment de la Corne de l’Afrique. « Ils représentent 49,8 % de nos bénéficiaires. Mais il y a toujours eu de nombreux migrants dans le département », nuance Chantal Gueneau, déléguée adjointe du Secours Catholique des Alpes-Maritimes. Au Tremplin, une trentaine de migrants et de jeunes Niçois viennent se doucher ou laver leur linge. Ceux qui le souhaitent peuvent rencontrer des bénévoles dans des bureaux. « C’est l’occasion de prendre de leurs nouvelles, de suivre leur situation, et pour eux, de vider leur sac », observe Gérard.
Français et migrants se succèdent dans le bureau d’Annie et Yvonne, bénévoles. Tickets repas, conseils, orientation vers d’autres organismes compétents… Les deux femmes leur accordent surtout une écoute attentive et de la compassion. « On ne quitte jamais son pays de gaieté de cœur, ni sans raison valable, affirme Annie. Je suis bien placée pour comprendre leur douleur. Étant pied-noir, j’ai moi aussi connu l’exode lorsque la guerre a éclaté en Algérie. » Pour elle, comme pour tous les autres bénévoles, une personne en situation indigne, qu’elle soit française ou étrangère, ne doit jamais être abandonnée.
Clémence Richard
18/07/2011
Source : Secours catholique