Ils sont près de 200 millions de travailleurs migrants en Chine. Ces soutiers de la croissance chinoise, sous payés et mal considérés, commencent à se révolter. Une situation qui inquiète le gouvernement qui, jusque-là, a choisi la répression.
Un chercheur chinois a récemment estimé que plus de 180 000 manifestations ont eu lieu l’année dernière en Chine. Soit 493 révoltes par jour ! C’est deux fois plus qu’il y a 5 ans. Un chiffre qui, même rapporté à la taille du pays, défie l’entendement et inquiète forcément les autorités chinoises.
Parmi ces révoltes, une grande partie sont le fait des travailleurs migrants. Ces « mingongs », littéralement ouvriers-paysans, sont les laissés pour compte de la croissance chinoise. Ils sont officiellement 153 millions en Chine. Mais, officieusement, ils seraient en fait quelque 200 millions. Une population flottante qui a longtemps servi de main d’œuvre pas chère pour faire tourner l’usine du monde. Un prolétariat qui commence à se révolter. A Zengcheng, plus connue sous le nom de capitale mondiale du jean, les mingongs se sont violemment opposés début juin à la police locale. Une vendeuse de rue bousculée et c’est l’émeute. Voitures brûlées, bâtiments publics saccagés. Résultats : des milliers de policiers équipés de blindés légers quadrillent cette ville-usine et 19 personnes arrêtées.
Même scénario à Chaozhou, dans une usine de céramique. Ou encore dans une usine de montres près de Canton. Près de Tianjin, un ouvrier en colère a même fait exploser une bombe artisanale blessant deux personnes. Des incidents isolés, mais qui depuis un an se répètent de façon inquiétante et illustrent le ras-le-bol de ce sous-prolétariat chinois.
Des hausses de salaires mais une inflation galopante
« Le détonateur aura été la hausse des prix, note Geoffrey Crothal, directeur de la communication de China Labour Bulletin, une ONG qui suit de près ces mouvements sociaux en Chine. Les hausses de salaires consenties l’an dernier après les premières grèves dans la région du Guangdong et l’affaire Foxconn compensent à peine l’inflation galopante en Chine ». Les prix de l’alimentation sont en forte hausse, +17,6% le mois dernier. Le prix du porc, aliment de base de la cuisine chinoise, atteint son plus haut niveau depuis 3 ans. « Dans ce contexte, les hausses de salaires de 20% ne changent rien. Ces gens souffrent et une étincelle peut mettre le feu aux poudres », explique-t-il.
Sans certificat de résidence, une réminiscence de l’époque maoïste, ces mingongs n’ont pas accès au système de santé, à la sécurité sociale ou à l’éducation gratuite pour leurs enfants. Des certaines villes industrielles du delta de la rivière des perles, ils constituent jusqu’à là moitié de la population. Et la pression monte.
« La structure de la main d’œuvre chinoise est en train de changer, relève le professeur Li Jianmin. Nous avons à faire actuellement à la deuxième génération de travailleurs migrants. Ceux nés dans les années 1980 et 1990. Ils sont mieux éduqués que leurs parents qui, eux, débarquaient tout juste des campagnes et sortaient de la Révolution culturelle. Ces jeunes veulent vivre mieux. Ils sont très sensibles au niveau de salaire et à leurs conditions de travail. Ils ne supportent plus d’être des citoyens de seconde zone ».
"Des intrus"
Un récent rapport du Conseil d’Etat s’inquiète ainsi des conséquences de cette discrimination. « Les ouvriers migrants souffrent de l’actuel système et sont en quelque sorte des intrus dans les villes où ils travaillent. Ils ne bénéficient pas des mêmes droits que les résidents urbains. S’ils ne sont pas correctement assimilés dans les villes et n’ont pas accès aux mêmes droits que les autres, de nombreux conflits sociaux vont éclater ». Le rapport précise que plus de 9 millions de nouveaux migrants rejoindront les villes d’ici 2015 et seulement 9% d’entre eux retourneront vivre dans les campagnes une fois leur contrat terminé. Le coût de leur intégration est énorme : au moins 8000 euros par migrant, ce qui multiplié par 200 millions représenterait un effort quasi impossible pour l’Etat chinois.
« Ces ouvriers continuent de travailler dans des conditions très difficiles, note Geoffrey Crothal. Ils sont corvéables à merci et doivent accepter de nombreuses heures supplémentaires. Bien au delà de ce qui est légalement autorisé. Ils travaillent même la nuit et les week-ends. Nous avons connaissance de nombreux accidents du travail. Nous attendons des multinationales étrangères qu’elles encouragent les négociations collectives entre ouvriers et patrons pour qu’un salaire convenable soit décidé et que les conditions de travail s’améliorent. Le gouvernement devrait également renforcer la législation du travail et punir les patrons voyous. Mais c’est rarement le cas ».
Joelle Brohier, fondatrice du site « RSE et PED » et consultante à Singapour, note cependant « une prise de conscience des autorités sur ces évènements graves, qui constituent pour le gouvernement central chinois un moyen de faire pression sur les entreprises. Le gouvernement a notamment déclaré que le « All China Federation of Trade Unions », le syndicat unique chinois, devait changer ses méthodes parce qu’il ne représentait pas les intérêts des travailleurs » Ainsi à Shenzhen, « les représentants politiques chinois ont proposé une réglementation pour favoriser les négociations collectives, mais les organisations patronales de Hong Kong ont jusqu’à présent appauvri et fait reculer le projet… ». Et de grandes marques ont préféré partir au Vietnam, « où d’ailleurs elles se plaignent également de la hausse des salaires et menacent de partir ! », ajoute Joelle Brohier.
Face aux révoltes, le gouvernement chinois privilégie pour l'heure la manière forte. Le budget de la sécurité publique a augmenté de près de 20% en Chine et d’avantage encore dans cette région du delta de la rivière des perles. Une région en ébullition.
Stéphane Pambrun
19/7/2011
Source : Novethic