Théâtre Jean-Deschamps archicomble, hier soir, pour se gondoler avec Jamel Debbouze dont le spectacle, sans se prendre pour un manifsete, déconstipe une époque passablement tendue.
Peut-être faudrait-il songer à appeler Jamel Debbouze « docteur ». Car son spectacle, présenté hier devant un théâtre Jean-Deschamps plein comme une voiture-chameau en partance pour Marrakech début juillet sur l'A9, administre une sacrée dose de décontractant à une France agitée par les spasmes racistes qui nous polluent l'altruisme et l'envie de découvrir l'autre, le différent. En un mot, l'étranger.
Après un tour de chauffe assuré de main de maître par un futur cador du stand-up - Malik Bentalha, fortiche dans la repartie, l'improvisation face à l'imprévu, le jeu avec le public - Jamel entre sur une vieille tuerie, Old School des New-Yorkais de LL Cool J. Comme un poing-claque derrière la nuque.
Pas de chichis de mise en scène chez Jamel. Un tabouret haut, une table de bistrot pour accueillir la bouteille d'eau qu'il vient siroter de temps à autre. C'est que le type a de quoi se déshydrater, en une heure quarante de tchatche sans temps mort. Mais l'essentiel est ailleurs. Le titre du spectacle annonce la couleur : Tout sur Jamel.
Vive la France
On a donc droit à tout ou presque. Ce que l'on attend de lui sur la forme, comme l'habituel « Ta gueule » aboyé en réponse au premier spectateur criant « Jamel ». Ou bien cet art consommé de s'adapter au public local en chambrant tour à tour la légende de Dame Carcass et Jean-Claude Pérez, le maire dont il demande : « Qu'est-ce qu'il a fait, Jean-Claude Pérez, à part des châteaux forts ? » Mouche à chaque fois. On a surtout droit à des choses bien plus profondes, que Jamel fait passer en maniant à la fois l'humour (sur soi) et l'ironie (sur les autres). Haut-parleur de la banlieue, du relégué, de l'immigré, bref de la France d'en-bas qu'aujourd'hui on combat par peur, il peint avec bienveillance un tableau de la France d'aujourd'hui dont il rassemble les morceaux qu'en haut on voudrait éparpiller façon puzzle. De l'enfance à Trappes avec foutage de bordel au collège et désopilante description de la mère de Nicolas Anelka rebaptisée « Le cyclope des Antilles » jusqu'au choc des cultures de son mariage mixte, son message apparaît en filigrane : et si on rigolait de nos différences. La politique, les politiques, les religions, le football, l'équipe de France en Afrique du Sud, le décrochage scolaire, le théâtre, l'amour, la famille, le bonobo DSK, les traditions… Jamel déconstipe tous les sujets. Les désamorce et ce qu'on attend de l'humour. On aime moins le petit couplet frontal et épidermique contre Sarkozy qui n'apporte pas grand-chose au propos. N'empêche, au bout d'un rappel, heureux comme le gosse qu'il est, Jamel exulte, demande à ce qu'on rallume la salle pour voir une dernière fois la gueule réjouie des convives dit son bonheur de voir le nuancier de couleurs qui composent le public, et par-dessus tout « toutes les générations qui rient ensemble ». Avant de lancer en point final un « Vive la France ! » auquel on s'associe.
19/7/2011
Source : La Dépêche