Manque de lits, explosion du nombre d'appels... Les salariés du 115 étaient en grève mardi. Maud Bigot, porte-parole de la coordination nationale des professionnels de l'urgence sociale a répondu à vos questions.
Fatal Facteur: pourquoi cette mobilisation en août, en pleine vacances? Pourquoi ne pas avoir attendu la rentrée? Y avait-il urgence à ce point?
Maud Bigot: Il y avait urgence à faire cette mobilisation car c'est maintenant que les choses se jouent sur le terrain. Les restrictions budgétaires ont été annoncées au mois de mai et c'est maintenant que les structures d'urgence ferment et que des places d'urgence sont supprimées. On ne pouvait donc pas attendre septembre pour témoigner de la dramatique réalité à laquelle nous nous sommes confrontons chaque jour sur le terrain.
Rouge-gorge : les budgets du 115 ont-il été plus réduits que pour le reste de l'hôpital?
Il ne s'agit pas d'opposer une population à une autre, les budgets de l'urgence sociale ont été diminués de manière drastique (moins 4 à 6% au niveau national). Il faut avoir en tête que l'hébergement est un droit. Le code de l'action sociale et des familles stipule que toute personne a accès immédiatement à un centre d'hébergement d'urgence. Il convient aussi d'avoir en tête que si l'Etat n'héberge pas une famille, il peut être condamné par le tribunal administratif. Aujourd'hui, on évalue à 33.000 le nombre de personnes qui dorment dehors chaque nuit.
Gigi: Quelle est la situation des SDF cet été?
Richard: Il paraît que la mortalité des sans-abri est plus élevée en été qu'en hiver. Est-ce vrai?
C'est vrai. On a l'impression que les gens décèdent plus l'hiver que l'été, mais les chiffres du collectif «Les morts de la rue» montrent que c'est l'inverse. Du coup, la coordination des professionnels de l'urgence sociale se positionne à l'encontre d'une gestion saisonnière de la question SDF, car c'est toute l'année que les personnes ont besoin d'un toit et de soins.
Coccinelle: Quelle est la situation dans les villes moyennes? Y a-t-il les mêmes problèmes qu'à Paris?
Oui, il y a aussi énormément de problèmes dans les villes moyennes. Pour citer deux exemples: à Lyon et Toulouse, 100 à 130 personnes sollicitent chaque jour le 115 sans obtenir de solution. Les chiffres ne représentent que la partie émergée de l'iceberg puisque des centaines et des centaines de personnes se découragent d'appeler le 115. A Lyon par exemple, le Samu social ne distribue que quatre places par jour.
Le problème c'est que les personnes qui ont une place dans les centres d'hébergement y restent tant qu'elles n'ont pas trouvé de solution. C'est la loi. C'est indispensable pour mettre en place l'accompagnement social nécessaire à la sortie du dispositif. Du coup, ça veut dire qu'à Lyon par exemple, il y a quatre sorties par jour, et donc quatre places qui se libèrent.
Tout le dispositif est bloqué, aggravé par la crise du logement. C'est valable surtout en région parisienne, mais aussi dans les grandes agglomérations. Dans le Rhône, par exemple, il y a 50.000 personnes en attente de logement social et le temps d'attente moyen, c'est 45 mois. Les sorties des dispositifs d'urgence sont bloquées par la crise du logement.
De ce fait, nous soutenons les efforts du gouvernement en matière de productions de logements. Mais la politique mise en place demeure insuffisante.
Travailleuse sociale: Que s'est-il passé au ministère?
Nous avons été reçus par des personnes du cabinet de Benoist Apparu (le secrétaire d'Etat au logement, ndlr). Lui-même n'a pas daigné nous recevoir: il a reçu des journalistes.
Cette rencontre s'est passée pour nous sous le signe de l'indécence et du mépris. Les personnes du cabinet ont pris note des revendications: nous demandions que le gouvernement revienne sur les restrictions budgétaires annoncées en mai, mais aucune réponse n'a été faite.
Nous allons envisager ce soir, avec les autres villes de France, les suites que nous allons donner à ce mouvement, car nous ne lâcherons rien. Nous sommes extrêmement en colère.
Seurel : n'y a-t-il pas, derrière la politique de tarissement du gouvernement, une manœuvre destinée à décourager les sans-abri qui sont sans papiers de rester en France?
Le gouvernement n'est pas clair sur la question de l'immigration et des sans-papiers. L'hébergement est un droit inconditionnel, il doit être accessible à tout individu, avec ou sans papiers. Le fait de supprimer des hébergements pose en effet très clairement la question du sort des personnes présentant un problème administratif. Ce qui est inquiétant, c'est le positionnement actuel de gouvernement de s'asseoir sur les lois de la République.
Bibiphoque : On parle beaucoup ces derniers jours du samu social, mais quelles sont les autres structures qui prennent en charge les sans-abri? Comment se coordonnent-elles?
Hormis le Samu social, qui est, en fonction des départements, composé d'équipes mobiles et/ou d'écoutants téléphoniques, il y a aussi des centres d'hébergement d'urgence proposant aux personnes un lit, de la nourriture, et pour certains, un accompagnement social. Celui-ci est inscrit lui aussi dans la loi. Il y a aussi des accueils de jour, en charge eux aussi de l'accompagnement des personnes dans leur projet d'insertion, et des structures de soins.
L'ensemble de ces professionnels se coordonne sur un territoire donné pour tenter d'accompagner au mieux des personnes pour lesquelles habiter nécessite de réapprendre à habiter et y reprendre goût. Je parle ici des personnes ayant connu la rue depuis de nombreuses années.
2/8/2011
Source : Libération