Plusieurs quartiers de Londres, et notamment celui de Tottenham dans le nord de la capitale anglaise, ont été secoués par des émeutes ce week-end qui ont fait plusieurs dizaines de blessés, principalement des policiers. Les manifestations, avec de très nombreux bâtiments et voitures brûlés ou des magasins saccagés, sont les plus violentes en Angleterre depuis des années. Si les émeutes semblent avoit été spontanées samedi soir, elles se sont transformées dans la nuit de dimanche à lundi en pillages de zones plus commerciales et/ou touristiques, selon la presse britannique.
L'étincelle a été au départ une marche pacifique de protestation après la mort d'un père de famille de 29 ans, tué par les forces de l'ordre lors d'une descente au sein de la communauté noire. Mais les causes semblent être multiples et traduisent peut-être le mal-être d'une partie de la population londonienne. La BBC s'interroge: «La nuit de samedi était-elle une débauche de violence aveugle ou le cri de colère d'une frange marginalisée de la société ?» Elle souligne qu'une «analyse à chaud était un jeu dangereux».
Des quartiers défavorisés et des tensions raciales ?
Historiquement, Tottenham est l'un des lieux les plus défavorisés et multi-ethniques du nord de Londres avec une forte population d'origine carribéenne. Le sud de ce quartier, selon une étude de l'University College of London, est le plus mélangé de Grande-Bretagne – et peut-être d'Europe – avec 113 groupes ethniques différents présents.
En raison du chômage plus important que dans le reste de la ville, les tensions sociales peuvent y être fortes. Dans les années 80, Tottenham mais aussi Brixton avaient déjà été ainsi touchés. Le 10 avril 1981, des affrontements, parfois qualifiés de race riots (émeutes raciales), éclatent à Brixton lors d'une vaste opération de police destinée à lutter contre la criminalité et perçue comme discriminatoire par certains membres de la communauté noire issue des Caraïbes. Le 6 octobre 1985, des émeutes restées connues sous le nom de «Broadwater Farm riots» (du nom de la cité où elles commencèrent) débutent à Tottenham après la mort d'une femme noire de 49 ans, décédée d'une crise cardiaque lors d'une perquisition de la police à son domicile. Pour qualifier les violences de ce week-end, le Digital journal parle ainsi du retour des «fantômes de Broadwater». Un éducateur du quartier cité par The Independent estime que rien n'a changé en 25 ans.
Ces causes ressemblent également étrangement à celles des émeutes de 2005 en France ou en 2008 à Athènes quand un adolescent avait été tué par la police dans le quartier contestataire d'Exarchia.
Le poète noir David Lawrence déclare lui dans une tribune publiée aujourd'hui dans le Guardian qu'il a honte aujourd'hui d'être originaire de Tottenham : «la relation de confiance qui existait entre la population et la police n'existe plus aujourd'hui. J'ai peur sérieusement que nous revenions aux heures sombres de notre histoire», faisant référence aux émeutes de 1985.
Une réaction à l'austérité des politiques budgétaires
Ces tensions sociales sont sans doute exacerbées par la politique de restriction budgétaire mise en place par le gouvernement de James Cameron qui touche les services publiques et les aides aux plus pauvres. Comme dans les années 80 alors que Margaret Thatcher était Premier ministre.
Une situation qui ne devrait pas aller en s'arrangeant. En début d'année, le maire de Londres Boris Johnson a ainsi craint que la récente baisse des allocations logements entraînent à terme une «épuration sociale» du centre de Londres et une concentration des plus défavorisés dans certains quartiers.
Une perte de confiance dans une police désorganisée
Selon le New York Times, la population d'origine carribéenne s'estime harcelée par la police ces derniers temps. Cités par le Guardian, plusieurs participants à la manifestation affirment avoir prévenu que celle-ci pourrait dégénérer si la police n'acceptait pas de dialoguer avec la famille de la victime.
Les récents scandales qui ont touché Scotland Yard, notamment celui des écoutes de The News of the World, n'arrangent pas non plus sa légitimité et son efficacité. Le chef de la police métropolitaine, Sir Paul Stephenson, et son principal adjoint ont dû démissionner. Selon le correspondant à Londres du Monde, «décapité au sommet, le Met, plus importante force de police du royaume, a dû faire appel à des renforts venus des comtés voisins en raison de la vacance du pouvoir et d'un mauvais étalement des congés».
Alors que la nuit de lundi à mardi risque d'être à nouveau agitée, reste à savoir si cet embrasement ne durera que quelques jours ou s'il agitera Londres comme l'Ile-de-France en 2005. «Avons-nous assisté à la fin d'une conflagration purement locale ou juste au début d'un long été d'émeutes et de colère dans le nord et ailleurs dans la capitale?», se demande ainsi le Guardian.
8/8/2011
Source : Libération