samedi 23 novembre 2024 19:50

La mauvaise réponse au Front national

Il ne faut plus continuer à employer contre Marine Le Pen les méthodes qui avaient, en réalité, conduit au succès de son père

Sordidement avivée par la provocation de Jean-Marie Le Pen, la tragédie norvégienne ne saurait me laisser en paix même en plein milieu d'un mois d'août que j'avais prévu plus serein. Ce père, que Marine, sa fille, s'indignait de voir diabolisé à outrance, n'aura pas voulu laisser passer l'occasion, même au prix d'un reniement de sa progéniture, de prouver qu'il n'y avait jamais eu chez lui ni dérapage, ni dérive, ni mouvement d'humeur. Tout était soigneusement calculé. Ses convictions sont demeurées identiques et d'ailleurs cohérentes. Le fondateur du Front national aura toujours considéré qu'il y avait dans tout immigré un danger potentiel et dans tout immigré musulman un pollueur de la nation française.

Jean Marie Le Pen vient cependant de franchir une borne. Au lieu de s'alarmer de la démence à laquelle peut conduire le fanatisme xénophobe, il dénonce le laxisme des Scandinaves à l'égard de « l'immigration massive », qui seul, selon lui, peut provoquer la dérive meurtrière de nationaux agressés. Autrement dit, dans sa folie « accidentelle », le massacreur de Norvège aurait eu de bonnes raisons de s'en prendre aux jeunes travaillistes inconséquents qui défendent les immigrés. Marine Le Pen avait jugé opportun, dans un premier temps de manifester sa solidarité avec le peuple norvégien, en condamnant clairement cette folie criminelle. Elle n'a pas voulu se désolidariser de son père, mais elle a obtenu de lui qu'il tente laborieusement de tempérer ses outrances. Résultat : On avait instillé ainsi le poison, puis on le déclarait inoffensif.

La logique de cette dernière étape du lepénisme s'insère dans la doctrine classique affirmant l'existence d'une pureté nationale et raciale qu'il conviendrait de défendre contre toutes les « pollutions ». D'après le grand écrivain norvégien Erik Fosnes Hansen, qui a publié une remarquable tribune dans « le Monde » de vendredi dernier, il y aurait dans les 1600 pages devenues testamentaires signées d'Anders Breijvik, un inventaire des différentes pollutions, ainsi qu'un appel à une croisade pour les combattre. On ne trouverait donc pas seulement, dans ces pages fébriles et délirantes une « école de la haine, » mais une incitation à la résurrection par le meurtre. Toujours selon cette doctrine, les musulmans sont soupçonnés de vouloir prendre par une invasion pacifique, le relais des combats séculaires de leurs ancêtres contre les nations chrétiennes. Sans doute choisissent- ils plus souvent aujourd'hui de se massacrer entre eux un peu partout, mais ils seraient unis contre les « infidèles »

Ce qui est le plus efficacement vicieux dans le recours de Le Pen à cette doctrine, c'est qu'elle lui permet de proclamer la patrie en danger. Alors, puisque nous sommes à quelques mois d'une échéance électorale capitale, c'est le moment de formuler des idées simples et de prendre des décisions fortes. Il faut proclamer, et solennellement que la doctrine du Front national, quels que soient les habits neufs dont elle se pare, demeure un poison contre lequel il faut s'immuniser .Je n'ai pas eu d'autre objectif que cet appel en décidant de rédiger le présent éditorial. Il entraîne l'obligation de condamner à l'avance tout geste, tout discours et toute candidature qui pourrait contribuer à renforcer le score du Front National, voire à le porter au second tour de l'élection présidentielle.

Cela doit nous conduire à accepter une évidence à la fois grave et négligée : on ne peut plus combattre Marine Le Pen avec les moyens qui ont servi - ou dont nous avons cru qu'ils pourraient servir - à combattre son père. C'est-à-dire qu'il faut faire l'inventaire des fautes commises qui ont permis à Jean-Marie Le Pen, d'accéder second tour des élections en 2002.

C'est là que nous retrouvons le rôle néfaste du Front national dans l'histoire récente de la vie politique française : il aura souvent réussi à exploiter le doute de nombreux Français sur la permanence de leur identité. C'est donc là aussi que nous devons trouver d'autres moyens de contre-attaque. Il convient, en effet, selon nous, non pas de dénoncer mais de comprendre tous les Français qui ont tendance à avoir un recul, une distance, une allergie, en tout cas une gêne et une inquiétude devant le phénomène de l'immigration. Il ne faut pas traiter ces peurs par le mépris mais les écouter et s'immerger dans leur fleuve pour en détourner le cours. Il faut montrer que la défense de la nation française et de sa langue, le respect pour l'histoire et les principes du peuple français ne sont en rien incompatibles avec l'islam des grands réformateurs qui, comme le faisait Mohamed Arkoun, se réclament de la Révolution de 1789.

Notre siècle, celui de l'immigration à l'échelle du monde entier, bouscule avec une vitesse dévastatrice un grand nombre d'habitudes, de conforts, de paysages, parfois même une manière de vivre. Tout ce que le temps a construit et qui est composé de tous les repères du passé est soudain remis en question au profit de ce qui apparaît comme incompatible ou en tout cas différent chez l'étranger. Nous aurons maintes occasions d'y revenir, mais je veux déjà ajouter que rien ne sera possible si nous n'arrivons pas associer en permanence les musulmans français et ceux qui veulent le devenir aux problèmes identitaires et psychologiques d'un grand nombre de citoyens de notre pays.

10/8/2011,  Jean Daniel

Source : Le Nouvel Observateur

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