Identifier la «diversité» sur la base de la consonance étrangère des prénoms au risque d’obtenir des angles morts. C’est la méthode peu conventionnelle qu’a adoptée l’Ifop pour mesurer la représentation – toujours insuffisante – et la performance électorale des candidats «issus de l’immigration» lors des dernières cantonales.
Fatoumata», «Karim» : « il y a des prénoms dont tout le monde sait de quelle origine ils sont », répond Jérôme Fouquet, de l’institut Ifop, quand on lui demande comment il a bien pu faire pour identifier les « prénoms d’origine étrangère » parmi une liste de près de 10 000 candidats. Et d’affirmer, sans pour autant en avoir « en tête », que bien évidemment « il y en a des (prénoms) turcs ». Comme quoi la méthode choisie ne va pas de soi...
Cet écueil, les auteurs de l’étude Ifop sur la place des « candidats issus de la diversité lors des dernières élections cantonales », l’admettent volontiers. Il est question d’un filtre « artisanal » qui n’est « pas parfait et peut conduire à une sous-évaluation partielle », notamment des enfants d’immigrés – parce qu’il y en a - qui ont revêtu des prénoms « bien français » en raison de la position assimilationniste de leurs parents.
Ce genre d'étude a apparemment le vent en poupe. Et contrairement à ce que l'Ifop affirme, il ne s’agit pas là de la « seule (méthode) disponible », puisque, pour une étude similaire, l’Institut Montaigne a non seulement utilisé la consonance des prénoms mais aussi des noms et… les photographies des candidats. Ce qui fait évidemment songer au délit de faciès...
Alors quand on questionne les conséquences idéologiques de ces méthodes peu conventionnelles - qui tentent de se soustraire à la règlementation sur les statistiques ethniques - Jérôme Fouquet n’y va pas par quatre chemins. C’est une « façon objective » de mesurer la diversité. « Nous, on voulait poser les choses pour parler vraiment sur du concret », se défend-t-il avant de hausser le ton. « Sinon, on fait pas ! », s’emporte-t-il en dénonçant cet « espèce de tabou » français qui empêche « d’aller regarder ». Et d’ajouter : « Toutes les vérités sont bonnes à dire ». Certes. Mais qu'en est-il des résultats obtenus ?
Diversité en politique : encore du boulot !
A première vue, le constat général de l’Ifop sur le sujet est loin d’être une découverte. Les personnes « issues de l’immigration » sont faiblement représentées aux cantonales – comme aux autres scrutins - par rapport à la place qu’elles occupent dans la société française. Comme les femmes, les jeunes et les ouvriers. On le sait, le profil-type de l’élu est plutôt un homme, blanc, âgé de plus de 55 ans et appartenant aux classes sociales supérieures.
En mars 2011, « 217 candidats portant un prénom à consonance étrangère sur un total de 9737 candidats» se sont présentés aux élections cantonales, comptabilise l’Ifop, « soit un taux de 2,2 %.» Un chiffre, toutes tendances politiques confondues, très faible - sans doute encore plus que celui que permettrait un enregistrement exhaustif des candidats de la diversité - alors que les « états-majors » de la plupart des partis affichent souvent leur souci de « diversité ». L’institut de recherche relève toutefois des « spécificités partisanes » - qui ne sont, encore une fois, pas vraiment surprenantes : « Europe Ecologie / Les Verts affichait le taux le plus élevé et le FN le score le plus faible ».
De même, la performance de ces candidats « issus de l’immigration » serait plus faible, notamment au premier tour, que celle des candidats français. « C’est particulièrement le cas à l’UMP (14 points d’écart) et au Parti socialiste (9 points d’écart)», remarque l’étude Ifop en précisant que l’écart est un peu moins important au PS si on élimine de l’équation les candidats sortants. Car un des facteurs de réussite des élections locales est bien le « niveau d’implantation » des candidats, c’est-à-dire le fait qu’ils ne soient pas parachutés sur le terrain comme un cheveu sur la soupe.
Selon l’Ifop, l’écart restant au PS entre les deux types de candidats (« issus et non issues de la diversité » mais dans les deux cas non sortants) ne serait pourtant pas dû à des parachutages sauvages dans des contrées ingagnables. L’institut de recherche postule - qu’à l’inverse de l’UMP - le PS n’a vraisemblablement pas dévolu spécifiquement à ces candidats « issus de la diversité » des « terres de mission pour les socialistes ou des fiefs de la droite parmi les plus difficiles à conquérir ». Et en arrive donc à la conclusion « contre-intuitive » que « pour les nouveaux candidats socialistes, les chances de se faire élire à un premier mandat ont été les mêmes » quels qu’aient été « leur couleur de peau, leur origine ou la consonance de leur prénom ». Conclusion contre-intuitive parce qu’on a un peu de mal à croire qu’il y a peut-être moins de préjugés dans les petits cantons alors qu’une véritable représentation des minorités – mis à part quelques nominations purement décoratives - dans les appareils politiques et dans les médias manque encore et toujours à l’appel.
Pour comparer l’égalité des « chances », il aurait sans doute fallu en savoir davantage sur la position de ces candidats « issus de l’immigration »… auxquels l’Ifop attribue une relative « faible moyenne d’âge ». Etaient-ils vraiment jeunes – c’est-à-dire, sans doute, inexpérimentés ? Certes, étaient-ils parachutés ? Mais étaient-ils bien connu des électeurs ou pas ? Etaient-il en concurrence avec une liste dissidente ou non ? Autant de subtilités auxquelles la consonance d’un prénom ne pourra, seule, jamais répondre. C'était quand même bien essayé....
16/8/2011
Source : Marianne