En anglais, « blender » signifie mixeur. L'artiste japonaise Hidemi Takagi n'a pas trouvé meilleur mot pour décrire le melting-pot des cultures à New York. Elle l'a représenté par des emballages de produits alimentaires venus des quatre coins du monde. Tous, sans exception, trouvés dans la ville américaine. Un travail de collecte qui a duré cinq ans, et qu'elle expose en photos à Times Square.
95 images d'emballages de nourriture – barres chocolatées, bonbons, biscuits – de 47 pays différents, récoltés dans les magasins de 35 quartiers new yorkais. Depuis le 1er août, c'est le Times Square Visitor Center qui accueille « le projet Blender », et ce jusqu'à la fin du mois.
Les photographies ont également envahi 25 poubelles des places piétonnes de Broadway, de quoi contraster avec le paysage ambiant. Glenn Weiss de la Times Square Alliance, cité par Art Daily, explique :
« Dans cet endroit dominé par des images gigantesques de produits et de marques mondiales, ces petits produits rappellent avec émotion le lien au pays d'origine de nombreux New Yorkais venus d'Egypte, Colombie, Serbie, Pakistan, Thaïlande, Sénégal et 40 autres Etats. »
Née à Tokyo, Hidemi Takagi arrive aux Etats-Unis en 1997. Elle observe New York petit à petit, en utilisant les transports en commun. Découvre les quartiers les plus métissés. Elle raconte :
« Parfois, je prends le bus, et je commence à observer les changements de paysage. Je ne sais pas où le bus m'emmène. C'est comme ça que j'ai commencé à découvrir des endroits ayant une forte population d'immigrés. Sur les marchés, j'ai pu voir de nombreux produits venus de plusieurs pays. »
La nourriture, première piqûre de rappel de la culture d'origine
Ces emballages, Hidemi Takagi les trouve drôles, beaux, colorés. Le charme de l'ancien, du démodé. Parmi les premiers qui retiennent son attention, une barre de chocolat russe Alenka trouvée sur un marché de Brighton Beach, à la pointe sud de New York. Elle y découvre d'autres emballages venus des anciens Etats de l'Union soviétique, et commence la collecte. Nous sommes alors en 2006.
« Je viens du Japon, où tout paraît soigné, parfait, high-tech. J'aime les choses qui s'y opposent », confie la photographe. Ces caractéristiques de la culture nippone, Hidemi Takagi les retrouve sans grande surprise aux Etats-Unis. Du coup, elle se plaît à sillonner des quartiers et magasins « un peu à l'écart des habitudes du New Yorkais » :
« Ils me demandent pourquoi je vais là-bas et ce que j'y recherche. Parfois j'explique mon projet, mais je ne suis pas sûre du nombre de personnes qui l'ait vraiment compris ».
L'idée de la photographe surprend :
« Les gens me demandent pourquoi je vais là-bas, et ce que j'y recherche. Je ne suis pas sûre que beaucoup comprennent vraiment le projet. »
Pourquoi, en effet, utiliser des emballages de produits alimentaires pour représenter la diversité des populations à New York ? L'artiste a tout simplement pris ce qui lui semblait « le plus essentiel à la vie », la nourriture. La première chose qui, donc, rappellerait la culture d'origine :
« Je peux porter des vêtements américains sans problème, mais il est difficile de s'adapter à de nouvelles habitudes culinaires. Chaque semaine, je fais mes courses à l'épicerie japonaise, cuisine japonais chez moi. Je ne sais pas pourquoi je préfère la mayonnaise japonaise à l'américaine, mais c'est comme ça. »
« A New York, chacun a une histoire liée à l'immigration »
Quand on lui demande quels sont, pour elle, les quartiers immigrés les plus emblématiques de la ville, Hidemi Takagi répond : « Little India à Jackson Heights, Chinatown et Koreatown à Flushing. » Tous sont situés dans le Queens, où Hidemi Takagi remarque aussi la présence de communautés russes et polonaises.
A Brighton Beach – là où elle a récolté ses premiers emballages venus de l'ex-URSS –, l'artiste décrit « le sentiment d'être dans une autre ville ».
Son endroit préféré ? Ridgewood, toujours dans le Queens. « Historiquement, c'est un quartier allemand. Mais aujourd'hui, il est aussi diversifié que n'importe quel quartier de l'arrondissement » constate la photographe. « Il y a entre autres une importante enclave polonaise, et une poignée d'anciens Yougoslaves là-bas ».
Hidemi Takagi reconnaît avoir une petite préférence pour les magasins polonais et balkanique du quartier, « sobres, discrets et jamais bondés ».
Du Queens à Manhattan, du « jamais bondé » au jamais vide, ce n'est donc pas sans raison que ses travaux sont exposés à Times Square. Le lieu est parfait pour rencontrer des touristes venus du monde entier. L'artiste espère ainsi surprendre des New Yorkais, pas toujours au courant de qui sont leurs voisins et d'où ils viennent :
« Une fois qu'ils sont attirés par la couleur des photos, ils seront amenés à lire les textes qui se trouvent en dessous. Ils en apprendront plus sur ces histoires d'immigration, sur ces quartiers. Ce ne serait pas génial si ces personnes prenaient le train pour visiter l'un d'eux ? »
22/8/2011, Valentine Pasquesoone
Source : Rue 89