Chaque jour, durant le mois du Ramadan qui s’achève, le restaurant solidaire du Secours islamique France installé sur un parking de Saint-Denis a servi plus de 400 repas chaud.
Depuis 10 heures ce matin, Nora et Avina préparent le repas du soir. Elles cuisent les légumes, la viande, ajustent une béchamel, épaississent la soupe. À deux pas de là, Soraya, Abdallah, Valentina, Yousra coupent en morceaux avocats, tomates, betteraves, concombres. « ça occupe ! », s’amuse Soraya, étudiante en master de relations humaines. « Au départ, précise-t-elle, je voulais juste aider. Mais ici, je rencontre des gens à mille kilomètres de ceux que je côtoie d’habitude. Je dis merci à Dieu pour ça. »
Tous ceux qui s’activent ainsi sous le chapiteau du restaurant solidaire du Secours islamique France (SIF) installé sur un parking non loin du métro Saint-Denis Porte de Paris ont une bonne raison d’être là. Abdallah, actuellement sans emploi, évoque l’islam qui fait de la solidarité « une obligation pour tout musulman ». Valentina, italienne venue en France dans le cadre du programme Erasmus et aujourd’hui diplômée en anthropologie, vient pour « l’accueil et l’ambiance ».
Amina, professeur des écoles, souhaite « donner à ceux qui n’ont pas ». Yousra, plus âgée, « bénéficiaire » du SIF, est heureuse de « pouvoir rendre à son tour service ».
Leçon de vie
Au fil de l’après-midi, d’autres bénévoles les rejoignent, lavent les casseroles, installent les tables, préparent le couvert. « Longtemps, je n’ai pensé qu’à moi, confie David, Web designer, récemment converti. Aimer son prochain comme soi-même, c’est faire la volonté de Dieu. Mais en me mettant au service des autres, je reçois d’eux une leçon de vie ». « Aider me rapproche spirituellement de mon Créateur », affirme de son côté Anis (1), ingénieur technico commercial.
« Nous pouvons compter chaque jour sur une trentaine de personnes, explique Ayad Aït Ahmed, responsable des bénévoles au SIF. Moyenne d’âge : 24 ans. Ces jeunes, bien formés, se reconnaissent dans l’éthique du Secours islamique, qui affirme l’égale dignité de chaque homme. Ils trouvent ici un lieu ouvert où ils peuvent s’investir, où on leur fait confiance, et qui est pour eux une école de tolérance, de militantisme et de citoyenneté. »
Un peu après 20 heures, des familles de Roms - dont certaines campent à deux pas de là – se pressent à l’entrée de la tente, ainsi que des habitants du quartier, trop seuls, et des personnes qui vivent dans la rue. Puis arrivent de jeunes migrants tunisiens, des habitués eux aussi, qui, tel Zyad, viennent prendre « un repas cuisiné comme à la maison », et « trouver un peu de chaleur ».
Hausse de la fréquentation
Bientôt, les femmes seules et les jeunes mères avec enfants se regroupent autour de trois tables, bien décidées à « partager un bon moment ». Les Tunisiens se serrent les uns contre les autres et échangent des nouvelles. Vers 21 heures, après la prière de Maghrib, arrivent les « jeûneurs » qui après avoir bu du lait et pris une datte, mangent en silence mais avec appétit tandis que dehors, les premiers servis s’attardent, un verre de thé à la main.
Ce jour d’août, près de 500 repas ont été servis. « L’an dernier, lorsque nous avons lancé l’opération, nous étions à 250 repas, raconte Djilali Benaboura, responsable des missions sociales France au SIF. Cette année, le succès, dû au bouche-à-oreille, est le signe d’une solitude et d’une précarité plus grandes. Au début, certains musulmans ne comprenaient pas pourquoi ils devaient faire la queue avec des non-musulmans. On leur a expliqué que le restaurant était ouvert à tous, sans distinction. Nous avons aussi ce rôle d’éducation. »
Les « Tables du Ramadan » – c’est le nom donné à ce restaurant – fonctionnent uniquement pendant le mois du Ramadan au cours duquel le SIF sert aussi des repas dans des foyers et distribue des colis dans les prisons. Durant l’année, l’ONG gère une épicerie solidaire à Saint-Denis, six logements d’insertion, et organise des maraudes sociales en partenariat avec la Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement, le 115 et le Samu social.
Un budget alimenté par les dons
Cette année, en coordination notamment avec le Secours catholique, elle distribue par ailleurs des petits déjeuners aux migrants tunisiens sans abri et participe à la campagne « Pas de solitude dans une France fraternelle » initiée par la société Saint-Vincent-de-Paul.
Si la Seine Saint-Denis demeure son « laboratoire » – l’ouverture d’un restaurant solidaire permanent et la création à plus long terme d’un lieu éducatif pour jeunes récidivistes sont à l’étude – le SIF espère désormais étendre ses activités à Lyon, puis à Marseille et Lille, tout en poursuivant ses missions à l’étranger. Son budget le lui permet.
L’ONG, qui emploie 90 salariés – dont une vingtaine de non musulmans – et peut compter sur 400 bénévoles, dispose en effet de 21 millions d’euros de fonds propre, dont plus de 90 % proviendraient de donateurs résidant principalement à la Réunion, en Île-de-France et dans le Nord.
Manque de visibilité
Pourtant, le SIF, né il y a vingt ans, souffre toujours d’un déficit d’image. D’où sa récente campagne d’affichage dans les transports en commun de la région parisienne : « La souffrance n’a ni origine, ni religion, ni genre. La solidarité non plus ».
« Membre de plusieurs plates-formes associatives comme coordination Sud, nous sommes aujourd’hui reconnus par nos pairs, ainsi que par le ministère des affaires étrangères et les instituts internationaux, explique Mahieddine Khelladi, directeur exécutif du SIF. Il nous faut maintenant devenir aux yeux du grand public une ONG comme une autre, sans amalgame possible. »
(1) Le prénom a été changé.
MARTINE DE SAUTO
Source : La Croix