samedi 23 novembre 2024 23:04

France: Vers l’interdiction des prières dans la rue

À la veille de l'interdiction de prier dans les rues, le ministre de l'Intérieur, ministre des Cultes, Claude Guéant, explique pourquoi il n'entend pas céder sur ce point.

LE FIGARO. - La prière dans la rue doit cesser demain. À la veille de cette date butoir, peut-on dresser un état des lieux de cette pratique en France ?

Claude GUÉANT . - Trois villes sont touchées par ce phénomène. Outre Paris, où plus d'un millier de personnes occupent les rues Myrha et Polonceau, lors de l'office du vendredi, le problème persiste à Marseille autour de deux mosquées et à Nice où la tentation d'occuper l'espace public existe encore en dépit de l'organisation de transport des fidèles en autocar vers une autre mosquée. Ma vigilance sera sans faille pour que la loi soit appliquée. Prier dans la rue n'est pas digne d'une pratique religieuse et contrevient au principe de laïcité.

Au cas où ces fidèles n'observent pas cette interdiction, aurez-vous recours à la force publique ?

J'ai voulu que cette affaire soit conduite dans la concertation plutôt que par le recours à la force publique. Dès ma prise de fonctions, j'ai indiqué que la prière dans la rue devait cesser car elle heurte la sensibilité de nombre de nos compatriotes, choqués par l'occupation de l'espace public par une pratique religieuse. Cela n'est pas conforme au principe de laïcité qui nous régit. Tous les responsables du culte musulman en sont d'ailleurs convaincus.

Le dossier le plus sensible est celui du quartier de la Goutte d'Or, à Paris. Avez-vous enfin trouvé un accord avec les associations cultuelles ?

Tout à fait, une convention a été signée mercredi soir. Au terme de plusieurs semaines de négociations, nous avons trouvé une solution pour que les fidèles qui priaient rues Myrha et Polonceau pratiquent désormais leur culte dans des locaux disponibles et situés à proximité. Ils offrent une surface de 2000 m². Les responsables du culte musulman et ceux des deux mosquées de la Goutte d'Or, qui se sont constitués en association cultuelle, ont convenu qu'ils pouvaient pratiquer leur religion sur ce site qui appartient à l'État. Ce dernier sera loué 30.000 euros par an, selon le prix fixé par l'administration, pour un bail de trois ans qui s'achèvera en 2014. Les fidèles n'auront plus intérêt à prier dans la rue, car il n'y aura plus de culte à l'intérieur des mosquées du quartier pendant les premières semaines.

Et si certains persistent à pratiquer dans la rue le vendredi ?

Je le répète, j'avais dit que la pratique des prières dans la rue devait cesser et elle cessera à la date prévue. Nous pourrions aller jusqu'à l'emploi de la force si nécessaire, mais c'est une hypothèse que j'écarte car le dialogue qui a été conduit porte ses fruits. Le service de la grande prière de vendredi aura donc lieu dans les locaux de l'ancienne caserne et nulle part ailleurs. Cette affaire est résolue.

Mais l'interdiction est-elle vraiment applicable, compte tenu du grand nombre de manifestations et processions religieuses de toute confession ?

Il y a un droit à l'expression publique de la religion en France. Toute manifestation sur la voie publique doit faire l'objet d'une déclaration préalable et peut être interdite si elle est susceptible de porter atteinte à l'ordre public. En revanche, les manifestations de caractère traditionnel sont reconnues par la jurisprudence administrative comme ayant un droit à perdurer. Mais là, nous avons un problème supplémentaire à traiter, qui est celui de l'interprétation que certains se font du principe de laïcité. J'ai observé dans les mois qui se sont écoulés que deux personnalités socialistes avaient pris position sur le sujet. Le maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, qui n'est autre que le président du groupe PS à l'Assemblée nationale, avait failli interdire dans sa ville un rassemblement œcuménique à l'occasion de Pâques pourtant traditionnel organisé par diverses églises chrétiennes. Le maire socialiste du XVIIIe arrondissement de Paris, Daniel Vaillant, a, quant à lui, déclaré que les prières de rue ne le dérangeaient pas. Je suis certain que cela dérange beaucoup de nos compatriotes. Ils n'ont rien contre telle ou telle religion, mais que l'espace public soit ainsi approprié n'est pas conforme au principe de laïcité auquel ils sont très attachés.

Croyez-vous qu'il y ait assez de mosquées en France ?

Ce n'est pas à moi de répondre à cette question, mais plutôt aux musulmans de France et notamment le Conseil français du culte musulman (CFCM). J'observe, pour ma part, que la France compte 2 000 mosquées et salles de prière. En dix ans, il s'en est créé un millier. Et nous avons connaissance aujourd'hui d'à peu près 200 projets. J'ajoute d'ailleurs qu'il y a un projet dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Ce qui fait que la solution conclue aujourd'hui ne sera que transitoire.

Mais l'État doit-il inciter, favoriser ou ignorer la création de lieux de culte ?

La loi est claire : l'État ne peut apporter de contribution à la construction de mosquées ou d'églises, pas plus que les collectivités locales. Ce sont des affaires du culte, donc des fidèles. Il n'y a pas de contribution publique à la réalisation d'un édifice du culte.

Vous vous posez en garant de la cohésion nationale. Craignez-vous une montée du communautarisme ?

Si je plaide vigoureusement et sans relâche pour l'unité nationale, c'est que je crains que, si nous ne faisons pas ce qu'il faut, il y ait une montée des communautarismes. Et cela, je le redouterais beaucoup pour mon pays. D'ailleurs, j'observe que dans nombre de pays ce refus des communautarismes est en train de s'imposer. Il est important que notre pays reste un pays très unitaire, complètement attaché et fidèle à un certain nombre de valeurs et de principes, à une façon de vivre. C'est la raison pour laquelle, j'agis pour maîtriser les flux migratoires et pour favoriser une meilleure intégration des étrangers que nous accueillons en France.

Le ministre s'inquiète d'un risque de repli communautaire

Claude Guéant le dit au Figaro concernant les étrangers voulant intégrer la communauté nationale : «Je compte être plus exigeant sur leur connaissance de la langue française.»

Le ministre de l'Intérieur ajoute : «Les personnes qui arrivent chez nous sans un minimum de maîtrise de notre langue risquent la marginalisation au sein de la société. Celle-ci peut conduire à l'isolement d'une communauté. Ce qui est inquiétant, car les personnes qui y vivent sont bien souvent à l'écart de la communauté nationale.» Selon lui, «leurs enfants, malheureusement, ont des difficultés à s'intégrer, parce qu'ils vivent dans une autre culture, bien qu'ils aillent à l'école.» Le ministre conclut par cette mise en garde : «Il est essentiel que la France demeure un pays uni. C'est, je crois, le vœu profond de nos compatriotes.»

Les motifs des refus

Claude Guéant veut visiblement éviter que se constituent des sortes de ghettos communautaires. «C'est le sens de son action» , dit-on dans son entourage. Mais l'hôte de Beauvau n'a pas souhaité désigner ces zones de repli identitaire, soucieux de ne pas stigmatiser tel ou tel quartier, telle ou telle communauté.

La loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité est censée garantir une politique plus rigoureuse en matière d'immigration. Sans attendre, le 24 août dernier, le ministre de l'Intérieur a adressé à ses préfets une première circulaire «relative au contrôle de la condition d'assimilation dans les procédures d'acquisition de la nationalité française».

«Assimilation» : le mot avait disparu du vocabulaire politique depuis les années Pasqua. «Il signifie simplement que les demandeurs étrangers doivent se fondre dans le creuset républicain», explique un préfet.

La circulaire Guéant expose les motifs de refus de nationalité par les préfectures : le manque de «loyalisme» vis-à-vis du fisc, des organismes sociaux, la fraude répétée, en somme, mais aussi le prosélytisme contraire aux valeurs de la République, la polygamie, la violence et l'attitude discriminatoire envers les femmes.

L'évaluation de la maîtrise de la langue fera bientôt l'objet d'un décret. Mais, d'ores et déjà, il est acquis que celui qui veut devenir français devra avoir «un niveau équivalent à celui de la fin de scolarité obligatoire», prévient le ministre. En clair : celui d'un Français de 16 ans.

14/9/2011,  Jean-Marc Leclerc, Christophe Cornevin, Arnauld Dingreville

Source : Le Figaro

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