Bon nombre d’Africains ont rêvé de la France, ce « merveilleux » pays de cocagne où il suffit juste de se baisser pour ramasser des billets de banque. Une contrée où le bonheur se rencontre à tous les coins de rue, où « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », où les policiers vous sourient pour un oui ou pour un non.
NAMUR (Belgique) - La France est-elle toujours cet Etat respectueux des droits de l’Homme où aucun agent de sécurité n’ose lever la main sur un étranger, lui mettre des menottes aux poings et l’envoyer dans le premier charter en partance pour l’Afrique ? De nombreux Africains, partis chercher une vie meilleure à Paris ou dans les villes de province, se posent cette question. Et à l’arrivée, ils ont vite déchanté.
La France n’est plus… la France. Le temps y est gris, les gens renfrognés, les clochards dorment dans les couloirs du métro et tendent la main à des passants qui, tels des zombies, les dépassent sans vraiment les voir. C’est ce rêve brisé vécu par de nombreux immigrants que la jeune réalisatrice burkinabé, Eléonore Yaméogo, a voulu raconter dans son documentaire « Paris mon paradis » présenté dans la section « Regards du présent » à la 26e édition du Festival international du film francophone de Namur (Fiff).
Primé au Fespaco 2011, ce film de 69 minutes est une plongée dans le monde plein de contrastes des Africains de Paris.
La réalisatrice a délibérément choisi de filmer ceux dont les rêves se sont brisés. Il y a Chaba, jeune peintre en bâtiment venu de sa lointaine Casamance et qui essaie de refiler sa camelote à des touristes pressés, devant la cathédrale Notre Dame de Paris ou aux abords de la Tour Eiffel. Ou Bintou, comédienne burkinabé qui a fait défection à sa troupe théâtrale après une tournée en France, espérant « faire son trou » à Paris. Il y a aussi Traoré, vieux malien retraité de la Fonction publique française, qui vit ici depuis l’époque du général De Gaulle et qui finit sa vie en dormant sur un matelas pourri dans une ruelle d’un quartier sordide, attendant les indemnités d’un accident de travail que l’Etat refuse de lui payer.
« J’en ai marre de cette vie»
Une galerie de portraits de naufragés de l’immigration, échoués quelque part dans l’Hexagone, brisant leurs rêves sur les côtes du désespoir. On les voit déambuler à la Goutte d’Or, à Barbès, essayant de mener un semblant de vie dans un pays qui les a exclus, marginalisés. « J’en ai marre de cette vie. Si l’Etat me paie mes indemnités, je ne reste pas 24 heures de plus en France », lâche avec amertume le vieux Traoré qui symbolise toute la détresse de ceux qui sont partis, qui ont quitté leur pays et qui risquent de ne jamais revoir leur famille.
Les images du film sont parfois accompagnées d’une voix off, celle de la réalisatrice, qui fait part aux spectateurs de sa vision de l’immigration. Elle-même a fait face à des refus de visa, avant de rejoindre finalement Paris où elle vit et travaille depuis quelques années. « Je ne décourage pas ceux qui veulent venir en Europe, mais j’ai voulu lancer un message aux Africains en leur disant de bien préparer leur voyage et de ne pas partir tête baissée. La vie est très dure en Occident, surtout lorsqu’on est sans papiers et sans travail », nous a expliqué Eléonore Yaméogo, dimanche soir à la fin de la projection de son documentaire à la salle Caméo 5 de Namur.
J’avais honte de rentrer bredouille
Des scènes poignantes, tirées d’un document vidéo de Mediapart, ont été intégrées dans son film pour mieux montrer la cruauté avec laquelle les policiers français traitent les sans-papiers ou les sans-logis africains. On y voit une femme dont le bébé qu’elle porte sur le dos est traîné sur l’asphalte, ou une autre, enceinte, que les Crs malmènent malgré son état.
Tout cela donne la nausée et l’on se surprend à se demander comment l’Etat français peut permettre de telles attitudes envers des êtres humains. Mais on se demande également pourquoi les Africains persistent à rester en France où ils sont plongés dans une déchéance et une misère qu’ils ne vivraient certainement pas chez eux.
« J’avais honte de rentrer bredouille et de supporter le regard des autres », répond la comédienne burkinabé Bintou qui, finalement, a obtenu des papiers en règle après avoir eu… une fille. Son retour au pays pour des vacances l’a quand même quelque peu déçue, car elle avait l’impression que sa famille n’en voulait que pour ses euros.
La jeune réalisatrice Eléonore Yaméogo n’a certes pas innové en parlant d’un sujet déjà traité dans le cinéma africain. Son audace est d’avoir campé sa caméra dans des lieux parfois hostiles et d’avoir fait témoigné, à visage découvert, des Africains happés dans le piège infernal de l’immigration et qui peinent à sortir la tête de l’eau.
04 Octobre 2011
Source : Le Soleil