jeudi 4 juillet 2024 04:25

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Politique d'intégration : La panne sèche ?

"Ce qui, dans le nom de Français, nous appelle à l'universel, doit beaucoup aux étrangers qui, choisissant la France comme terre de prospérité et de liberté, sont venus, depuis des siècles, enrichir notre culture, défendre notre sol et soutenir notre économie. La politique d'intégration n'est donc ni un acte de charité, ni un simple devoir. Elle est l'une des manières pour la France d’être fidèle à elle-même". Cette phrase de Simone Veil résume l'état d'esprit avec lequel le Haut conseil à l'intégration, qu'elle a présidé jusqu'en 1998, sillonne la France pour faire remonter au gouvernement les problématiques de terrain rencontrées dans le processus d'intégration des populations immigrées. De passage à Dijon jeudi 29 septembre 2011, le Haut conseil a ainsi pris le pouls de la situation auprès de vingt associations locales, entre débats sur la scolarisation, les discriminations et le manque de moyens alloués par l'Etat pour mettre en place cette politique...

La France, terre d'immigration

A l'origine était l'immigration. Contrairement à ses voisins, la France a déployé une politique officielle dans ce domaine dès la moitié du XIXe siècle, ayant amorcé sa révolution démographique avant la Révolution française... Pour faire face aux besoins des entreprises au moment de la révolution industrielle, les usines et le monde agricole ont accueilli des travailleurs des pays limitrophes : Belges, Allemands, Suisses, puis Polonais, Italiens et Espagnols... Il s'agissait d'une immigration de travail, à la différence d'autres pays comme le Canada, l'Australie, l'Argentine ou les États-Unis, ayant opté pour une immigration de peuplement afin de développer de vastes espaces insuffisamment peuplés. "Dans les années 1920, la moyenne annuelle des entrées en France est de l’ordre de 300.000 immigrés", selon le rapport La France sait-elle encore intégrer ses immigrés ?, publié le 21 avril 2011 par le Haut conseil à l'intégration à la demande du ministère de l'Immigration, de l'Identité nationale et de l'Intégration .

Après la Seconde guerre mondiale, la planification détermine à nouveau des objectifs en matière d’immigration de travail, confiant le monopole des introductions à l'Office national de l'immigration (ONI). Les objectifs fixés seront atteints avec difficulté, la situation économique et sociale de la France n'étant pas suffisamment attractive. "C'est seulement dans la seconde partie des Trente Glorieuses qu'une nouvelle dynamique des flux sera amorcée, alors même que les planificateurs du VIIe plan (1976-1980) conseillaient de freiner l’immigration de travail qui constituait, selon eux, un obstacle à la modernisation de l’appareil productif, malgré l’opposition du patronat. Ainsi le nombre d’immigrés s'est accru de 31% entre 1968 et 1975 et de 7% de 1975 à 1985", souligne le même rapport.

En 1974, à la suite du premier choc pétrolier et de l'apparition d’un chômage de masse, le gouvernement décide de suspendre l’immigration des travailleurs permanents des pays non européens. Seule la venue des travailleurs saisonniers pour les travaux agricoles restera autorisée, ainsi que celle des cadres de haut niveau. Aujourd’hui, la France compte près de 11,5 millions d'immigrés et d’enfants dont l'un des parents au moins est immigré, soit 19% de la population française, d'après l'article "Être né en France d’un parent immigré", publié en mars 2010 dans le magazine Insee Première, édité par l'Insee et cité dans le rapport du Haut conseil à l'intégration précité.

L'intégration en panne ?

De l'immigration à l'intégration des individus dans la société française, le pas n'est pas toujours évident à franchir... "Plus que la simple insertion matérielle des immigrés dans la société d’accueil - et moins que l'assimilation souvent entendue comme l’abandon de la plupart des spécificités culturelles liées à l’origine - l'intégration reste un concept sinon contesté, du moins mal compris. Il désigne un processus qui demande un effort réciproque à l’immigré et à la société du pays d'accueil, une ouverture à la diversité qui est un enrichissement mais aussi une adhésion et une volonté responsable pour garantir et construire une culture démocratique commune", résume Patrick Gaubert, président du Haut conseil à l'intégration. Et de préciser : "Pour éviter les faux débats, précisons que l'intégration s’adresse pour l’essentiel aux immigrés installés régulièrement en France, soit plus de cinq millions de personnes, dont deux millions sont devenues françaises. Néanmoins, le sort de leurs enfants n’est pas indifférent à la politique d’intégration, ne serait-ce que pour mesurer leur évolution sociale. En outre, leur nombre est loin d’être négligeable puisqu’aujourd’hui les enfants d’immigrés, c’est-à-dire les descendants directs d'un ou de deux immigrés, sont 6,5 millions. En tout, ils représentent 19 % de la population française. Ce dernier chiffre suffit à lui seul à montrer l’importance des sujets relatifs à l'immigration et à l’intégration pour notre pays".

Égalité hommes/femmes, laïcité... La question de l'intégration fait régulièrement surface dans les médias lorsqu'elle touche aux principes fondamentaux de la République. Points d'orgue de ces débats : la question du voile islamique à l'école publique jusqu'au vote de la loi du 15 mars 2004 ou, plus récemment, la question du port du voile intégral dans les espaces publics. "Rien de plus normal, puisque l'intégration a pour objet de valoriser ce qui unit les Français et ceux qui ont vocation à l'être. Le Haut conseil à l'intégration observe toutefois que la focalisation sur les principes républicains, aussi importante soit-elle, a pour effet de différer la satisfaction des besoins d'intégration au quotidien des immigrés et de leurs enfants dans notre pays", précise le Haut conseil dans son rapport d'avril 2011.

Mais, malgré le fait que "l'acceptation des personnes d’une autre religion, d’une autre nationalité, d’une autre culture, continue de progresser dans l’Hexagone" selon Patrick Gaubert, "notre pays, comme d’autres démocraties européennes qui ont une longue tradition de tolérance, est aujourd’hui traversé par des tensions identitaires autour de la question de l'immigration, et plus particulièrement de l'islam". Une enquête d’opinion réalisée en janvier 2011 par le German Marshall Fund et citée par le rapport du Haut conseil est, à cet égard, éclairante. "Certes en 2010, 58 % des Français voient toujours dans l’immigration un enrichissement pour la culture de leur pays. Ils étaient cependant 68 % à le penser en 2009. Enfin, face aux revendications identitaires et communautaires, à la montée du populisme en Europe, et aux peurs sourdes qui s’y développent depuis le 11 septembre 2001, confortés par la crise économique et financière de fin 2008, les Français sont parmi les plus sceptiques sur les bienfaits de l’immigration. Selon l’enquête, seulement 38 % des personnes interrogées considèrent que l’immigration est une chance pour la France alors qu'ils étaient 50 % en 2009". Si la politique d'intégration "désigne un processus qui demande un effort réciproque à l’immigré et à la société du pays d'accueil", comme le notait Patrick Gaubert, le vent semble tourner aujourd'hui vers un "repli communautaire", alors même que "les acteurs de l'intégration tels que les partis, les syndicats, les églises, sont affaiblis des instruments comme le service national, qui a disparu".

L'école et les associations, derniers remparts d'une politique en déréliction

Que reste-t-il aux immigrés pour s'intégrer ? "L'école et les associations", résume Patrick Gaubert. Et pour ces deux instances, la situation est loin d'être idyllique. Le Programme de réussite éducative, lancé en 2005 auprès des populations immigrées et prolongé en 2010, dispose par exemple d'un budget annuel de 90 millions d'euros. "C'est considérable. Mais le Haut conseil s’interroge sur l’ampleur des moyens engagés au regard de la relative faiblesse des résultats obtenus, notamment lorsque l'on constate le retard scolaire à l’entrée en sixième", souligne Patrick Gaubert. Même constat au sujet de dispositifs ciblés vers la suite de la scolarité, tels que les internats d'excellence et les mesures d'accompagnement aux classes préparatoires. "Dans un rapport publié en janvier 2010, nous avons recommandé que l'effort soit porté vers le début de la scolarité. Il y a beaucoup de choses qui sont faites en fin de scolarité mais ce sont des palliatifs aux problèmes. Si l'on ne veut pas être obligés de monter des structures en fin de scolarité, il faudrait peut-être mettre un effort beaucoup plus conséquent au début, quasiment à la maternelle. Nous avons recommandé que la maternelle soit obligatoire à partir de trois ans pour ne pas avoir de retard à rattraper plus tard. C'est là, au début, que tout se joue en terme de sociabilité et d'apprentissage de la langue. C'est là également que les inégalités sociales pénalisent le plus", note le président du Haut conseil. A Dijon, des structures telles que le Cesam ou la Cimade accompagnent par ailleurs les adultes dans l'apprentissage de la langue française.

Dans la capitale des Ducs de Bourgogne, le tissu associatif est effectivement dense en ce qui concerne l'intégration des populations immigrées, de l'association de quartier "Grésilles nouveau souffle", qui œuvre à regrouper les différentes communautés du quartier dijonnais, à la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), en passant par la Cimade ou la Maison de la Méditerranée, dont la mission principale est de susciter des rencontres entre les populations autour de thèmes appartenant à la mémoire collective. "Les associations font ce que l'Etat ne fait plus", résume Patrick Gaubert. "Désormais, la politique française d’intégration prend en charge à titre principal les nouveaux arrivants, et à titre très accessoire, les immigrés plus anciennement établis, voire leurs descendants. Ce choix nous paraît gravement faire l’impasse sur les deux millions et demi d’étrangers résidant en France, qui n’ont pas bénéficié d’une politique d’accueil et d’intégration et sur les descendants d’immigrés devenus Français. En outre, au plan budgétaire, cette décision s’est traduite par une restriction drastique des crédits de l’État consacrés à la politique d’intégration qui sont passés de 183,9 millions d’euros en 2008 à 73,1 millions en 2009, avec un transfert de quarante millions vers la politique de la ville". Ce jeudi 29 septembre, à la MJC des Grésilles, l'écho renvoyé à ce constat par les associations était unanime : elles aussi manquent de moyens, face à une demande d'aide à l'intégration toujours plus forte.

4/10/2011, Benjamin Hutter

Source : Dijonscope

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