La question de l'émigration préoccupe bien les cinéastes africains. Après « Paris mon paradis » d'Elénore Yaméogo, les écrans du Festival international du film francophone de Namur (Fiff) ont accueilli « Le sacrifice (Yoolé ») du cinéaste sénégalais Moussa Sène Absa, un documentaire qui évoque le rêve des jeunes Africains prêts à tout pour rejoindre l'Occident.
NAMUR (Belgique) - Il fait beau sur les îles de la Barbade en cette journée du 29 avril 2006. Pourtant, à quelques mètres de la plage, une découverte macabre faite par des pêcheurs va bouleverser le quotidien des habitants de ces paisibles îles caribéennes. Onze cadavres de jeunes hommes en décomposition gisent au fond d'une embarcation partie des côtes sénégalaises, il y a plusieurs mois. Morts de faim, de soif et d'épuisement, ces candidats à l'émigration espéraient rejoindre les Iles Canaries, en Espagne, mais leur pirogue a dérivé et fini sa course tragique sur ces côtes de la Barbade. Ils reposent pour toujours au cimetière de Westbury, très loin des leurs. Certains parmi eux, dont Diao Souncar Diémé, ont pu être identifiés grâce à une lettre écrite en pleine mer. Le jeune Diémé disait à celui qui retrouverait la missive de la transmettre à un son oncle, un certain Omar Badié. Dans son documentaire "Le sacrifice (Yoolé") qui date de 2010, le réalisateur sénégalais Moussa Sène Absa (qui vit aux Barbades depuis quelques années et qui n'est pas présent à Namur) part de cette histoire pour essayer de comprendre la cause de la ruée des ces milliers d'Africains vers l'Occident. En interrogeant des jeunes, un psychologue, des parents de victimes, des artistes et en utilisant des images d'archives, il se livre à un travail d'investigation qui se veut aussi un état des lieux d'une société sénégalaise en prise à ses contradictions. Tout en évitant de donner son point de vue ou de vouloir juger qui que ce soit, il donne la parole à des personnes qui expriment leur désespoir et leur mal-vivre. Dans leur quartier de pêcheurs de Tableau Ferraille en proche banlieue dakaroise (d'où le cinéaste est originaire), Omar, Ibrahima, Abdoul, Thierno et Fallou égrènent un chapelet de griefs contre ceux qui dirigent leur pays et « qui sont incapables de (leur) donner du travail ». En choisissant l'option suicidaire de « Barsa ou Barsakh » (voir Barcelone ou mourir) qui consiste à s'entasser dans de frêles embarcations à destination des îles espagnoles des Canaries, ils espèrent réaliser leur rêve : rejoindre l'Eldorado où ils pourraient gagner dignement leur vie. Même s'ils savent que la mort peut être au rendez-vous, ils tentent quand même l'aventure, préférant cette odyssée plutôt que de passer leur temps à « écouter de la musique et boire du thé ».
Le documentaire de Moussa Sène Absa est construit sous une forme narrative, avec une voix « off » (celle du réalisateur) qui, dans un wolof pur et très académique, raconte les déboires d'un fils qui s'adresse à sa mère. Il lui raconte le calvaire que lui et ses compagnons d'infortune sont en train de vivre sur le long chemin vers l'exil. « J'ai peur de mourir dans ma douce jeunesse », dit le fils à sa mère. Rythmées par une belle musique de Wasis Diop et d'El Hadj Ndiaye, des images du grand bleu et de quartiers de Dakar défilent sous nos yeux.
Derniers instants vécus avec un époux
On y voit un sociologue (Serigne Mor Mbaye) qui évoque la part de responsabilité des autorités dans cette tragédie, un chef de village (Ngala Sy) qui dénonce le pillage des côtes sénégalaises par les gros chalutiers chinois et européens, un cinéaste (feu Samba Félix Ndiaye) qui appelle à un retour aux valeurs positives ou une veuve (Mame Diarra) entourée de ses enfants en bas-âge et qui se souvient des derniers instants vécus avec un époux qu'elle ne verra plus jamais...
Entre ces témoignages, le réalisateur glisse des images d'archives montrant le président sénégalais Abdoulaye Wade entouré de militants, de proches collaborateurs et s'exprimant sur ses réalisations et projets : Case des touts petits, Université du futur, Monument de la Renaissance, infrastructures, politique d'habitat avec les 3000 logements du Plan Jaxaay... Une manière, pour le cinéaste, de donner la parole aux autorités et de leur permettre de répondre à ceux qui affirment qu'elles n'ont pas fait assez pour améliorer la vie des Sénégalais ? Toujours est-il que d'aucuns, comme le sociologue Serigne Mor Mbaye, pensent que ce n'est pas avec « cette élite politique que les jeunes (qui constituent la majorité de la population) vont tourner le dos à l'océan ».
L'océan, les belles plages de Dakar, les ruelles des quartiers populaires constituent le décor du documentaire de Moussa Sène Absa tourné au Sénégal, en Barbade et au Portugal où des migrants sénégalais interrogés dans la rue regrettent d'avoir quitté leur pays. Sur fond de bruits de vagues, la voix « off » du candidat au voyage, au fond de sa pirogue ballotée par les eaux en furie, lance cet ultime appel à sa mère : « J'entame ma longue nuit sur le seuil de la mort ». Le film ne veut pas être très noir. Il ouvre une fenêtre d'espoir avec cette joie de vivre perceptible à travers le sourire des femmes exécutant des pas de danse lors d'une cérémonie familiale; ou l'espoir innocent de ces jeunes élèves de Popenguine qui rêvent de devenir infirmière, femme d'affaires, footballeur, gendarme, ministre... et qui aimeraient bien que leur pays, le Sénégal, se développe par le travail.
6/10/2011, Modou Mamoune FAYE
Source : Le Soleil