Le droit des étrangers en France a connu un véritable bouleversement par l’adoption de la loi du 16 juin 2011 entrée en vigueur le 18 juillet 2011. En effet, ce texte qui constitue largement une transposition de la directive européenne du 16 septembre 2008 a introduit des réformes importantes en réduisant de manière significative les garanties procédurales, en créant ce que certains appellent déjà une mesure de bannissement qui consiste en une interdiction de retour sur le territoire français et finalement en allongeant la durée de la rétention administrative qui passe de 32 jours à 45 jours.
Maître Chninif, avocat spécialisé sur la question du droit des étrangers en France, propose quelques observations sur ces trois axes de la réforme qui rendent, selon lui, le droit des étrangers en France de plus en plus complexe et difficile à suivre.
La rétention administrative est à distinguer de l’emprisonnement et qui signifie la possibilité offerte à l’administration de maintenir pour une durée limitée, dans des locaux surveillés, les étrangers qui font l'objet d'une procédure d'éloignement ou d'une interdiction du territoire français et qui ne peuvent pas quitter immédiatement la France.
La nouvelle loi autorise donc le Préfet ou le ministre de l’Intérieur à placer les étrangers en situation irrégulière dans des centres pour une durée initiale de 5 jours et ensuite pour 20 jours renouvelable une seule fois. Ces deux prolongations doivent être autorisées par le Juge des libertés et de la détention (JLD).
Cela dit, la réforme permet désormais aux autorités d’avoir la possibilité d’éloigner les étrangers dans les 5 premiers jours en échappant au contrôle du JLD qui vérifie la régularité de la procédure et qui constitue le garant des libertés individuelles.
Cependant, le placement en rétention administrative se fait par un acte administratif (arrêté) qu’on peut attaquer devant le Tribunal administratif dans un délai de 48 heures. Mais, l’administration n’est pas obligée de remettre une copie de la décision à l’intéressé. Bref, l’étranger a le droit d’attaquer une décision dont il ne connait pas le contenu !
Par ailleurs, on peut imaginer la difficulté dans laquelle peut se trouver le JLD qui sera amené à examiner la situation d’un étranger qui a vu l’arrêté le plaçant en rétention administrative validé par le Tribunal administratif.
La nouvelle loi permet aussi la rétention de « terroristes » pendant une période pouvant atteindre 6 mois.
Sur les délais dont dispose l’étranger pour quitter le territoire
Sous l’ancienne loi, l’étranger disposait d’un mois pour contester une décision lui refusant le droit au séjour avec obligation de quitter le territoire français et du même délai pour quitter volontairement le territoire national s’il ne conteste pas la légalité de la décision.
Avec la réforme, l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) n’est plus la seule conséquence du refus de séjour mais s’applique également à d’autres cas (entrée irrégulière, maintien sur le territoire après l’expiration du visa ou du titre de séjour dont on n’a pas demandé le renouvellement…).
De même, l’OQTF peut désormais être assortie d’un délai de départ volontaire ou au contraire dépourvue de tout délai de départ volontaire c’est-à-dire un départ immédiat.
La nouveauté essentielle est donc la possibilité pour le Préfet d’édicter une obligation de quitter le territoire français, sans délai, et à exécuter immédiatement dans certains cas.
Cependant, certaines dispositions de la loi sont particulièrement inquiétantes pour les étrangers en situation irrégulière puisque l’absence de demande de titre de séjour est considérée comme une soustraction à l’ obligation de quitter le territoire français alors qu’il est parfois impossible de déposer une demande de titre de séjour en raison des pratiques de certaines préfectures (irrecevabilité du dépôt du dossier par courrier et pas plus de 30 tickets par jour avec ouverture du guichet des étrangers 3 jours par semaines).
La gravité de cette mesure réside également dans l’obligation faite à l’étranger qui le souhaite d’attaquer la décision devant la Justice dans un délai de 48 heures. Sachant qu’il s’agit d’un contentieux très complexe et qu’il n’est pas facile d’obtenir un rendez-vous avec un avocat dans un laps de temps sans oublier que la notification de la décision peut coïncider et tomber en fin de semaine.
Sur l’interdiction de retour
La mesure la plus spectaculaire dans cette réforme est la possibilité pour l’autorité administrative de prendre une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) en plus de l’OQTF. Cette prérogative est assimilable à l’expulsion ou à l’interdiction du territoire français qui étaient réservées jusque là à la Justice française.
L’interdiction qui sera prononcée désormais par l’administration peut varier en fonction de la situation de l’étranger, atteindre 5 ans et peut être prolongée pour une durée maximale de 2 ans.
Le plus étonnant, est que l’interdiction de retour entraine l’inscription automatique au fichier des personnes recherchées (FPR) et au fichier européen SIS (système d’information Schengen).
Cette inscription au SIS entraîne, en conséquence, l’impossibilité de solliciter un visa pour revenir ou un titre de séjour dans l’ensemble de l’espace Schengen.
Par ailleurs, la loi ne prévoit pas l’annulation automatique des signalements au SIS en cas d’abrogation de l’interdiction de retour sur le territoire français. Vous pouvez donc imaginez dans ce cas les restrictions injustifiées de la liberté que pourrait subir la personne concernée.
En définitive, la loi du 16 juin 2011 est une réforme importante qui modifie encore une fois l’arsenal juridique français dédié aux étrangers et qui donnera certainement lieu, et pendant de longues années, à diverses interprétations et à de véritables batailles juridiques entre l’administration et les défenseurs des étrangers.
6/10/2011, Abderrahim Chninif
Source : Yabiladi