Les enfants des Marocains qui sont venus s’installer en France pour travailler connaissent mal l’histoire migratoire car leur famille, depuis toujours, et l’école, jusqu’à récemment, gardent le silence. Ce qu’ils en connaissent, ils l’ont appris par eux même.
Aujourd’hui, « les enfants d’immigrés connaissent très mal et très peu l’histoire migratoire de leur famille quelque soit le pays d’origine de leurs parents ou les raisons de la migration », résume David Lepautre. En 2005, et enseignant chercheur en histoire a coréalisé une enquête auprès de 80 élèves de 14 à 20 ans, enfants d’immigrés, en France : « Souvenirs de familles immigrées » (ed. Odile Jacob).
Ce qu’il constate aujourd’hui était déjà valable il y a plus de 20 ans. « Mes parents ne m’ont rien raconté du tout. Je savais qu’ils étaient venus pour le travail et c’est tout », témoigne Jamila, 33 ans, née en France de parents marocains. « Pour moi et pour mes amis de ma génération, les parents ne parlaient pas du tout de l’histoire de l’immigration », continue Hanane, 33 ans, née au Maroc et arrivée à 6 ans, en France, dans le cadre de l’immigration de travail de sa famille.
Oublier le passé
« Le projet migratoire est un projet de rupture : ce qui appartient au pays d’origine est mis de côté », explique Daniel Lepautre. Au contraire, Hanane estime « que pour la première génération à avoir émigré, ce n’était que temporaire. Il y a longtemps eu le mythe du retour ». Parler du Maroc au passé était alors absurde puisque l’installation en France n’était que temporaire.
Pour Fatima A., 32 ans, née au Maroc et arrivée en France quelques mois plus tard, si ses parents se sont tus c’est probablement « pour ne pas noircir le tableau ». « Ce devait être très douloureux, ils n’avaient surement pas envie de partager ça avec leurs enfants », continue Hanane. Jamila sait que ses parents viennent de la campagne. « Ils sont analphabètes, ils n’avaient pas conscience du mouvement de masse auquel ils participaient », estime-t-elle. A l’école, les enfants des Marocains de la première vague migratoire n’ont souvent rien appris sur le parcours de leurs parents puisque l’histoire de l’immigration n’a intégré les programmes qu’en 2006.
Démarche personnelle
Aujourd’hui, ils ont, comme tous les enfants scolarisés, une vision simpliste voire caricaturale de la colonisation et de l’immigration et ne font aucun lien entre elles. Toutefois, « les élèves qui ont un lien avec l’immigration postcoloniale sont plus nombreux à prendre en compte l’ambivalence bienfaits/méfaits de la colonisation », note, Halima Aït Mehdi, attachée de recherche en histoire à l’université de Picardie. Selon elle, c’est une façon de prendre en compte les deux héritages.
A l’adolescence ou au début de l’âge adulte, parfois confrontés à l’image négative que la société leur renvoyait, certains enfants de Marocains immigrés se sont interrogés sur leur histoire familiale. « J’ai commencé à réellement en parler à l’adolescence. Dans mon collège, il y avait d’autres enfants d’immigrés, on a commencé à se raconter nos vies », explique Fatima A. « En grandissant, je me suis progressivement intéressée au Maroc », se rappelle Hanane. « Je me souviens avoir vu le reportage « Mémoire d’immigrés » de Yamina Benguigui : ce fut le début de ma prise de conscience », raconte Jamila.
9/10/2011, Julie Chaudier
Source : Yabiladi