A la conférence annuelle du Parti conservateur, début octobre, la ministre de l'Intérieur britannique Theresa May s'est appuyée sur un récit improbable pour défendre sa position sur l'immigration. Au grand dam des tories.
La conférence des conservateurs, qui s'est tenue début octobre à Manchester, a été le théâtre d'échanges mordants entre membres du gouvernement : Kenneth Clarke [ministre de la Justice] a ainsi tourné en ridicule Theresa May [ministre de l'Intérieur] qui lors de son intervention avait évoqué le cas d'un clandestin [bolivien accusé de vol] sauvé de l'expulsion grâce à son chat. Comme le bureau de presse de la justice contestait cette affirmation, Kenneth Clarke a déclaré qu'il était prêt à parier avec elle que toute cette histoire était fausse.
Or selon une source du ministère de l'Intérieur, le juge aurait fait la déclaration suivante : "Les preuves concernant l'acquisition conjointe de Maya [le chat] par l'appelant et sa partenaire viennent confirmer mes conclusions sur la qualité de la vie de famille vécue par l'appelant et son conjoint." Theresa May avait annoncé lors de la conférence son souhait d'amender les lois sur l'immigration pour restreindre le recours trop fréquent des immigrés clandestins et des délinquants étrangers au respect de la vie familiale prescrit dans la loi sur les droits de l'homme (Human Rights Act). Cette loi s'inspire des droits énoncés dans la Conventioneuropéenne des droits de l'homme. Elle avait choisi d'illustrer son propos en ayant recours à des exemples déjà donnés par la presse de droite. "Le clandestin qui ne peut être expulsé parce que – et je n'invente rien – il avait un chat."
Selon Kenneth Clarke, qui a commandé un rapport sur l'avenir de la Convention européenne des droits de l'homme, Theresa May aurait dû le consulter avant de faire cette remarque. "Quand Theresa m'aura dit d'où elle tire ces exemples qui lui posent apparemment problème, je suis certain que nous tomberons d'accord – c'est l'interprétation inepte de cette loi qui lui vaut cette mauvaise réputation, et nous devrions tous nous mobiliser pour les droits de l'homme et les libertés individuelles au lieu de les désavouer."
Il s'est ensuite lancé dans un vigoureux plaidoyer en faveur de la Convention européenne des droits de l'homme : "Ce sont les Britanniques, après leur victoire sur le fascisme, qui ont pris l'initiative de cette Convention européenne des droits de l'homme. L'idée consistait à instaurer ces valeurs dans les régions où le fascisme s'était imposé, afin de s'assurer que nous revenions tous à des valeurs européennes universelles du moins en matière de libertés individuelles – si chères au Parti conservateur."
Pour Sadiq Khan, ministre de la Justice (dans le cabinet fantôme) de l'opposition : "Le temps et l'énergie dépensés par ce gouvernement à tergiverser au sujet de cette loi montre à quel point ce gouvernement est éloigné des préoccupations des Britanniques. Ces derniers s'intéressent en effet bien plus aux problèmes de sécurité engendrés par l'ampleur des restrictions budgétaires imposées à la police qu'aux échanges de coups de griffe entre ministres."
Theresa May a présenté par la même occasion le colonel Tim Collins, ancien de la guerre en Irak, premier candidat conservateur à se déclarer candidat pour le poste de Police and Crime Commissioner [commissaire de police, élu au suffrage universel au Royaume-Uni] qui sera élu en novembre. Le colonel Collins a donné le ton de sa campagne en déclarant que les policiers devaient "faire la chasse aux voyous" au lieu de "jouer les assistantes sociales". La ministre de l'Intérieur a soutenu le colonel Collins en déclarant aux délégués : "Je ne voudrais pas être à la place des délinquants s'il est élu !" Elle s'est à nouveau engagée à réformer la police et a insisté sur le fait que les coupes budgétaires n'affectaient en rien la qualité des services de base sur le terrain ni leur amélioration.
Mais c'est sur le sujet de l'immigration que Theresa May s'est montrée la plus vindicative. Après avoir réitéré sa promesse de réduire le solde migratoire, elle a déclaré : "Nous devons nous assurer que nous avons toute latitude pour expulser des étrangers qu'il serait folie de garder chez nous. Nous avons tous entendu des histoires sur cette loi. Ce gros dealer de drogue qui ne peut être expulsé à cause de sa fille – dont il ne s'occupe même pas. De ce voleur qui reste sur le sol britannique parce qu'il a une petite amie. Ou encore de ce clandestin inexpulsable – et je n'invente rien – parce qu'il a un chat."
14.10.2011, Nicholas Watt et Alan Travis
Source : Le Courrier international