vendredi 22 novembre 2024 14:13

Participation politique rime-t-elle avec élection?

Depuis une trentaine d’années, le socle sociologique et culturel de la communauté marocaine à l’étranger a connu de profondes et multiples mutations. Non seulement il a changé de profil mais aussi il est cristallisé par l’émergence de plusieurs générations (2ème, 3ème et 4ème générations) dont le profil s’enrichit de la double appartenance affective, par référence à l’identité d’origine, et celle acquise par la naturalisation.

Dans son ouvrage sur les Marocains Résidents à l’Étranger (MRE) : «Les marocains d’ailleurs, identités et diversités culturelles», le sociologue Mohamed Hamadi Bekouchi a mis en exergue la diversité de la communauté marocaine et sa complexité : «La diversité de la diaspora marocaine est suffisamment large et complexe pour qu’on puisse s’entourer de toutes les garanties nécessaires pour sonder le degré de leur pluralité, le poids de leur valeur, leur amour et l’attention qu’elle porte à leur terre d’origine…»

En revanche, et au-delà, cette diversité se manifeste à travers des revendications sociétales, culturelles, et politiques. Son discours est facile à décrypter. En effet, elle reproche aux hommes politiques et aux acteurs de la gouvernance leur manque d’efficacité, et, au final leur inaptitude à répondre à leurs attentes. A ces mêmes doléances s’agrègent une crise de confiance et le manque de légitimité envers les acteurs gouvernementaux et les autorités de tutelles. Il n’en demeure pas moins, la communauté se revendique le droit de l’exigence éthique par la rupture avec le clientélisme, la cooptation d’un côté, et la promotion de la méritocratie et de la réédition des comptes. Sur le plan purement politique, la communauté marocaine de l’étranger vacille entre un courant de pensée privilégiant la participation à la vie politique et un autre courant, plus exigible, demandant la représentativité parlementaire effective.

Ce qui nous amène à poser la problématique implicite : Comment traduire cette diversité large et complexe par une participation ou représentativité politique juste et équitable ?

Au Maroc, depuis 2011, la réponse constitutionnelle sur la participation et la représentativité politiques est traduite par les articles 16, 17, 18, 30 et 163 qui sont en harmonie avec les aspirations de la communauté marocaine à l’étranger quant à leurs droits politiques et l’exercice de leur citoyenneté pleine et effective.

Le 1er juillet 2014, nous avons fêté le troisième anniversaire de la nouvelle constitution dans une relative déception et frustration. Trois ans de pouvoir exécutif et législatif, outre le remaniement ministériel, le bilan législatif du gouvernement Benkirane reste insatisfaisant au regard de la déclinaison des dispositions de la nouvelle constitution. La communauté est doublement peinée et outrée : d’abord, à cause de l’incapacité du chef de gouvernement à mettre en œuvre des articles aussi vitaux pour les marocains de l’étranger, ensuite son bilan socio-économique ne laisse pas apparaître la sérénité nécessaire pour la croissance économique.

L’omniprésence du vide juridique, notamment autour des articles 16, 17, 18 et 163 de la constitution, ouvre la voie à des spéculations et à des interprétations partielles et partiales.  A l’instar des propositions de lois relatives à la chambre des représentants proposées par l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et le parti de l’Istiqlal (PI) où les deux protagonistes offrent une lecture biaisée et cloisonnée de la participation politique de la communauté marocaine à l’étranger autour de la représentation parlementaire.

Face à cette diversité plurielle de la communauté marocaine, conjuguée à la crise de la démocratie représentative (parlementaire) caractérisée par une forte distorsion entre les représentants et les représentés. Il n’est ni judicieux ni efficace, en soi, de traduire cette diversité par quelques députés MRE à la première chambre du parlement marocain.

Les partis politiques au Maroc manquent-t-ils d’inspiration et d’innovation en matière législative et en matière de vision politique ? Pourtant la nouvelle constitution propose un panel de concepts sur la participation politique comme les notions de : société civile, démocratie participative et gouvernance à travers les articles 12, 14, 15, 18, 163…Penser la participation politique avec un tropisme représentativité parlementaire constitue un obstacle et un handicap pour le développement et la promotion du choix démocratique au Maroc.

Il faudrait reconfigurer le casting en élargissant notre concept politique de représentation, en développant la démocratie participative ou délibérative avec la société civile de la communauté marocaine à l’étranger dans une autre sphère que la sphère politique, au sens restrictif du terme. Une sphère de consentement, de participation et de gouvernance où les acteurs de la société civile MRE deviennent des acteurs politiques. Un peu comme si, selon le principe de vases communicants, la société civile relaye l’engagement partisan.

Le conseil de la communauté marocaine de l’étranger (CCME) et dans le respect de ses prérogatives constitutionnelles (art.163) doit être le reflet de cette sphère politique, l’incubateur de la démocratie participative ou délibérative au service des intérêts des marocains du monde et aussi un tremplin pour la « démocratie directe » au Maroc. A cet égard, des efforts consentis et des actions louables de la part des dirigeants du CCME comme le festival Twiza d’Amsterdam en juin 2014, la rencontre de la société civile avec le comité pour le dialogue national en février 2014…doivent être encouragés et soutenus pour réamorcer la concertation et le consensus.                                                                                                   

Néanmoins, le caractère exclusivement consultatif du conseil minimise son influence et son impact dans les sphères décisionnelles : pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Le CCME post-constitution doit être revigoré par un pouvoir contraignant auprès des instances gouvernementales et enrichi par de nouvelles ressources humaines compétentes dont le seul critère de sélection est la méritocratie !

La contribution financière des marocains du monde pour le développement économique du Maroc est incontestable, en revanche leur contribution au développement démocratique reste un challenge à partager, à relever, entre les deux rives. Celle-ci ne peut se faire que par l’intermédiaire d’un CCME démocratique dans ses rapports à la communauté et à travers la transparence quant à la nomination de ses membres.

Mohammed EJJARMAOUI, enseignant, France

 

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