jeudi 4 juillet 2024 20:15

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Droit de yote des étrangers en France et destin commun

Voter aux élections locales serait-il un gage d'une citoyenneté active?...Suite

Harlem Désir, Premier secrétaire du Parti socialiste français (PS) a adressé une lettre aux parlementaires de gauche les incitant à adopter le droit de vote des ressortissants extracommunautaires aux élections locales,  sur la base de la 50ème proposition du programme du candidat François Hollande. En tant que militant associatif ayant contribué à plusieurs actions en faveur de ce droit à cette partie de nos compatriotes, je verse cette contribution aux débat sur cette questions qui n’est pas nouvelle.
La question du droit de vote des étrangers extracommunautaires se rappelle à l'ordre du jour de l'action gouvernementale, dans un contexte où l'attention est focalisée sur les questions sociales et économiques.

 

Depuis 30 ans, la gauche fait et défait les scénarios sur une question qui devrait être vue sous des angles relativement connus et consensuels. Sans se focaliser sur une vision citoyenne pure, les étrangers non communautaires si tant est qu'ils soient revendicatifs en masse ou par le biais de leurs représentations, d'une reconnaissance par le droit de vote à des élections locales, on est en droit de se poser la question de l'intérêt politique du PS à prioriser l'accès à des populations faisant partie intégrante de la communauté nationale à un droit de vote en version light. Les "étrangers"; résidents en France depuis plusieurs générations sont des acteurs économiques, socioculturels et participent à la vie démocratique à des échelles diverses. Mais cet apport n’a de valeur que s'il est comparé à une autre réalité. Celle de leur place en France comparativement au rôle qu'ils jouent vis-à-vis de leurs pays de départ. Et là se pose la question du message à passer à travers cette volonté d'accorder ce droit aux ressortissants extracommunautaires.

 

En 1981, plusieurs voix se sont élevées et ont accompagné la victoire de François Mitterrand pour accorder le droit de vote aux étrangers résidents en France qui majoritairement étaient maghrébins. Cela coïncidait avec des campagnes de soutien aux luttes des peuples du Maghreb contre des régimes antidémocratiques. Le message délivré par cette revendication en France était plus à destination de ces régimes en leur montrant que des franges de leurs peuples s'initient à l'exercice de la démocratie, même si elle reste au niveau local. Un citoyen à qui on apprend que sa voix compte devient plus problématique à gérer et sa considération, surtout s'il représente une source non négligeable de devises pour l'économie du pays de départ. Ce message dans ce contexte de luttes pour la démocratie était dans l'air du temps et répondait à une vision politique qui pouvait influer sur le cours des choses notamment dans le rapport entre le Sud et le Nord de la Méditerranée. Un train est passé et que reste-t-il comme opportunité pour resservir ce message et en faire une priorité? L'immigration et particulièrement maghrébine devrait être considérée plus dans la politique de coopération et les équilibres entre la France et les pays du Sud que sur le simple aspect de la citoyenneté made in France. Les ressortissants étrangers en France - je parle des Maghrébins -  devraient être considérés sur trois dimensions : la  dimension économique, la dimension socioculturelle et la   dimension démocratique.
Dimension économique: D'une part, ils cristallisent les échecs de plusieurs décennies de politiques économiques alors qu'ils sont venus à la demande de la France pour faire face à une croissance et répondre aux besoins de l'industrie française (automobile, mines...). Ils concentrent les problèmes du chômage et de la précarité (le chômage touche 3 fois plus d'étrangers que de citoyens de «souche»). Ils sont montrés du doigt par une France qui ne leur reconnait pas une forte participation à son développement économique et souvent en étant sous-employés et sous-payés par rapport aux travailleurs de «souche» (par le FN, la droite non gaulliste entre autres...). Et d'autre part ils représentent un apport non négligeable dans les économies de leurs pays d'origine. Les apports en devises et la contribution au développement local sont très importants (devise; immobilier; tourisme; agriculture...).

 

Dimension socioculturelle: Le modèle français d'intégration laisse peu de place à la  préservation de l’identité culturelle. Aux yeux de la population française, l'intégration est synonyme d'assimilation. Donc, aux yeux des étrangers, c'est plus un reniement de leur identité d'origine qu'une reconnaissance de leur différence qu’on leur demande. Ce problème est réel et est vécu douloureusement au sein des familles et des groupes sociaux issus de l'immigration...

 

Stigmatiser une fête communautaire ou une tenue vestimentaire ou s'attaquer à un pays arabe relève de la même chose: ne pas reconnaitre la différence et humilier une communauté. Les jeunes issus de l'immigration qui n'ont pas acquis la nationalité française, ne le feront pas car ils considèrent que cette nation n'est pas la leur... Et cela ne sera pas résolu par un droit de vote au rabais. Car il voudrait dire que vous ne méritez pas plus que ça!

 

Dimension démocratique : Ces ressortissants à qui on souhaite accorder le droit de vote, même si certaines luttes associatives avaient inscrit cette demande dans leurs revendications, qui est à regarder en relation avec l'exercice de la citoyenneté dans les pays de départ. La majorité de ces ressortissants n'a jamais voté dans son pays. Ou bien par absence de représentation des étrangers dans les institutions des pays d'origine (pas d'élections pour les communautés à l'étranger) ou par  abandon d'une citoyenneté entachée par des politiques de corruption et antidémocratiques des régimes en place dans les pays d'origine. Ces ressortissants seraient-ils plus citoyens vis-à-vis d'une élection locale que vis-à-vis d’une reconnaissance démocratique dans leurs pays d'origine? J’en doute. Et le PS dans tout cela? Au vu de ces éléments, et qui nécessitent sûrement plus de développement, le PS a tout intérêt à plutôt repenser la politique de coopération et la rendre plus dynamique pour soutenir la croissance dans les pays de départ et créer par conséquent des emplois en encourageant les programmes sur l'affectation des revenus de l'immigration.

 

Il s'agit là d'une politique qui permet de résoudre les problèmes d'intégration en concentrant les efforts sur les actions qui suscitent l'adhésion de ces ressortissants plutôt que de se polluer avec des choix politiques sans intérêt ni pour le parti, ni pour ces populations. Le droit de vote nécessite un destin commun. Ce droit est octroyé à des ressortissants européens qui partagent le même destin que les Français. Ce destin est au sein d'une Europe politique, économique, culturelle, sociale et sociétale. Ce n'est pas le cas avec la majorité des pays de départ de l'immigration. Ce n'est pas une stigmatisation que je relève, c'est un constat. Avant de donner ce droit de vote, il faudrait penser à quel destin nous aurons avec nos partenaires du Sud: c'est la priorité... Une fois les rails de ce destin posés, viendrait peut- être le temps de l'outillage. Et le droit de vote n'est qu'un outillage parmi d'autres.

 

19 Février 2013, Mohamed Bentahar

 

 Source: Libération

 

 

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