vendredi 5 juillet 2024 00:24

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Equateur : après le mirage ibère, le retour à la terre

«Ils ne savent vraiment pas conduire dans ce pays !» s'exclame, furieux, Fabian Larrea, à bord de son impeccable taxi jaune. Voilà à peine six mois que cet Equatorien de 38 ans parcourt les rues de son Quito natal, après plus de dix ans passés à Madrid. «Je suis en état de choc, mais au moins je bosse et je gagne de l'argent», confie-t-il en esquivant une queue de poisson. De l'argent, il n'en gagnait plus depuis 2010. La crise financière qui étrangle depuis cinq ans l'économie espagnole touche de plein fouet les immigrés.

Si 27% de la population active est au chômage, le taux monte à 70% parmi les 310 000 Equatoriens résidant dans la péninsule ibérique, selon le Secrétariat national équatorien chargé de l'émigration (Senami). Une saignée qui s'explique par le type de profession exercée par ces derniers. La plupart étaient employés dans les services ou dans le bâtiment, un secteur aujourd'hui sinistré, à la suite de l'éclatement de la bulle immobilière. «J'ai tout fait, là-bas : ménages, récolte des fruits, gardiennage... Quand je suis arrivé, je gagnais des fortunes, on pouvait travailler quatorze heures par jour dans le bâtiment», se rappelle Fabian, qui a été rejoint très vite par son épouse et sa fille, Laura. «On venait d'un pays en banqueroute et l'Espagne, c'était le nouvel eldorado.»

Mère patrie. On est alors en 1999, près de 3 millions d'Equatoriens prennent le chemin de l'exil à la suite d'une profonde crise bancaire. Beaucoup iront aux Etats-Unis, d'autres trouveront refuge dans l'ancienne mère patrie, qui vit alors ses années folles, avec un secteur de l'immobilier en pleine explosion. Treize ans plus tard, c'est le désenchantement.

A la Senami, en plein centre moderne de Quito, l'ambiance est lourde de désillusions. La salle d'attente est pleine à craquer et les fonctionnaires sont débordés par ces nouveaux arrivants en phase de réadaptation. La majorité sont revenus grâce au programme d'aide au retour, une politique mise en place par le président socialiste, Rafael Correa, sensible au sort de ses compatriotes «exilés». «C'est la première fois qu'un président équatorien nous aide à revenir chez nous, mais c'est quand même très difficile de rentrer dans ces conditions de pauvreté», commente Nuria, une femme de 40 ans qui espère monter un restaurant à Cuenca, sa ville d'origine, après avoir vécu dix ans à Barcelone comme serveuse dans des bars. Au chômage et sans perspective d'emploi, elle a d'abord opté pour «le retour volontaire» proposé par l'Espagne. Cette initiative permet de toucher en un seul versement l'intégralité des indemnités. En échange, les immigrés renoncent à leur carte de résidence espagnole durant trois ans. «Avec mon mari qui ne travaille plus depuis deux ans, un loyer de 500 euros et deux enfants à nourrir, on ne pouvait pas vivre sur mon chômage de 700 euros et nos économies», explique la jeune femme. Et de poursuivre, la gorge nouée : «C'est surtout dur pour mes enfants, qui ont grandi à Barcelone, parlent le catalan et ont perdu tous leurs amis.» Grâce à son petit pactole - deux ans de prestations de chômage -, elle espère monter son bar, en comptant aussi sur les aides publiques équatoriennes.

Coopérative. Le gouvernement, dopé par une croissance de 5% grâce à la bonne santé des exportations pétrolières, finance en effet à 50% les projets des ex-émigrants désireux d'investir dans le pays. Baptisée «Bienvenue à la maison», cette initiative est un succès. Sur les 20 000 Equatoriens qui ont quitté l'Espagne au cours des quatre dernières années, près de la moitié ont bénéficié de ce coup de pouce. Certains, comme Roldan, qui a été saisonnier agricole en Andalousie durant huit ans, ont opté pour le «Plan Tierras». L'Etat offre un lopin de terre aux ex-émigrés ayant une expérience rurale. Seule condition exigée, celle de monter une coopérative. «Je sais que ce n'est pas le futur que j'espérais après dix ans hors de mon pays, mais au moins je reviens sans dette», confie Roldan.

Ce n'est pas le cas de Joséfa. Son époux est resté en Espagne pour essayer de sauver les meubles. Sans travail depuis deux ans, ils ne pouvaient plus rembourser leur crédit hypothécaire et ont été menacés d'expulsion. D'après la Senami, le drame du surendettement immobilier, symbole de la crise espagnole, toucherait quelque 15 000 Equatoriens. Près de 8 000 familles auraient été expulsées de leur logement faute de pouvoir payer leurs traites. «On a négocié avec la banque espagnole pour avoir trois mois de sursis. C'est pour cela que je suis rentrée au pays : pour pouvoir rembourser notre logement espagnol. Heureusement, l'économie va un peu mieux ici», assure la jeune femme, qui vient d'être embauchée pour 1 000 euros mensuels comme puéricultrice dans une crèche. Un poste aujourd'hui inespéré en Espagne.

12/6/2013, DIANE CAMBON

Source : Libération.fr

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