vendredi 5 juillet 2024 00:22

picto infoCette revue de presse ne prétend pas à l'exhaustivité et ne reflète que des commentaires ou analyses parus dans la presse marocaine, internationale et autres publications, qui n'engagent en rien le CCME.

Le choix des femmes, entre intégration et communautarisme,

Qu'en 2010, en plein Paris, on puisse tenter d'immoler une actrice et dramaturge féministe d'origine algérienne montre l'urgence du combat pour l'intégration des femmes. L'agression de Rayhana illustre non seulement l'utilité d'avoir fait de la violence faite aux femmes la grande cause nationale 2010, mais aussi que les ennemis de l'intégration des femmes immigrées ou issues de l'immigration n'ont peur de rien, y compris le recours à la terreur.

Dans les quartiers difficiles, la situation des femmes immigrées est devenue de plus en plus éprouvante à mesure que le communautarisme et son corolaire, l'intégrisme religieux, progressent. Les mariages forcés, les répudiations, la polygamie, les menaces d'excision, la claustration au sein du foyer ou les contraintes à porter des uniformes de dissimulation du corps allant du survêtement pour la jeune collégienne interdite de jupe à l'extrémité du voile intégral, tout cela signe un recul des principes républicains fondateurs du vivre ensemble : la liberté, l'égalité et la fraternité. Les femmes sont les premières victimes du recul de la laïcité.

La situation de nombreuses femmes immigrées en situation de monoparentalité, dans une précarité matérielle et sociale certaine, et qui ne comprennent pas toujours les codes de langage et de comportement, est préoccupante. Voila pourquoi il faut renforcer l'information des femmes et jeunes filles primo-arrivantes sur leurs droits personnels et sociaux. L'intégration des femmes immigrées nécessite que tous les efforts se portent sur l'apprentissage de la langue commune, seul mode d'accès à l'autonomie professionnelle, culturelle et sociale. Il faut briser l'isolement des femmes abandonnées par leur époux après des années de vie en France qui ne parlent pas correctement le français. Pour que ces femmes participent pleinement et librement à la vie de la cité et s'engagent dans une démarche citoyenne qui les conduira à la naturalisation, il faut leur ouvrir plus grand la voie de l'éducation, de la formation et de l'emploi. La liberté de la femme passe aussi par l'apprentissage de la liberté à disposer de son corps. Un effort doit être tout particulièrement porté sur l'information aux méthodes de contraception, sur la sexualité, sur la lutte contre les violences physiques et morales.

Dans les quartiers défavorisés, les femmes sont un vecteur d'intégration des familles important. Le tissu social délité n'y tient encore que par l'action de ces femmes soucieuses de l'avenir de leurs enfants, nés en France pour la majorité. Celles qui agissent dans ce domaine font passer la réussite de leurs enfants avant celle de leur " groupe d'origine ", en cela elles sont un des principaux remparts contre le communautarisme. Immigrées ou issues de l'immigration, qu'elles soient des épouses, des sœurs ou des femmes célibataires, ces femmes sont un atout pour une politique d'intégration volontariste.

Déjà en 2003, le Haut Conseil à l'intégration avait recommandé au gouvernement de s'engager avec davantage de force pour assurer aux femmes immigrées en France le respect de leurs droits civils et de leur liberté individuelle en faisant que le droit français prime sur celui du pays d'origine. En effet, certaines conventions bilatérales signées entre la France et le pays d'origine rendaient possible l'application sur notre sol de textes contraires à notre législation en matière de droits des femmes. En 2007, un accord-cadre national a certes été signé pour " favoriser les parcours d'intégration " des femmes immigrées et issues de l'immigration. Bien que de nombreuses institutions publiques soient concernées, les résultats se font attendre et c'est encore aux associations d'assumer la charge de la politique d'intégration sans les moyens nécessaires. La situation de certaines associations de femmes s'aggrave du fait des suppressions de subventions au motif que l'intégration n'est plus une priorité face à la promotion de la diversité ou la lutte contre les discriminations. Or, les unes ne vont pas sans l'autre !

Cent ans après la première marche des femmes et en dépit des immenses avancées obtenues en matière de droits des femmes dans notre pays depuis lors, notre société doit prendre conscience que beaucoup de femmes immigrées qui vivent en France, en ayant acquis récemment la nationalité ou pas, ne jouissent pas pleinement de ces droits car elles ne peuvent accéder à l'information, car elles sont isolées ou réduites au diktat du groupe d'origine qui parle à sa place au nom de traditions d'un autre âge.

Le Haut Conseil à l'intégration que je préside a la conviction que la questions des femmes immigrées est aujourd'hui l'enjeu majeur d'une véritable politique d'intégration. Les politiques, toutes tendances confondues, doivent s'en convaincre au-delà de la seule journée des femmes et des discours de circonstances et agir tout de suite, dans la durée, en 2010 et encore après.

Patrick Gaubert est président du Haut Conseil à l'intégration, président d'honneur de la Licra, ancien député européen. Il est l'auteur du livre " Les droits de l'homme ne se négocient pas " (L'Archipel, mars 2009).

08.03.2010, Patrick Gaubert

Source : Le Monde.fr

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