vendredi 5 juillet 2024 02:21

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Regroupement familial : pourquoi Manuel Valls se trompe de siècle

Lors du séminaire de rentrée du gouvernement consacré à la "France de 2025", Manuel Valls, ministre de l'Intérieur a fait une brève intervention qui a fait couler beaucoup d'encre, avant d'y revenir. Ses propos auraient été "déformés". Ne retenons qu'un des points : "La question du regroupement familial pourrait être revue." Et d'expliquer : "La démographie est très importante en Afrique notamment, cela change le rapport à ce continent avec qui il faut réinventer un partenariat."

 

De fait, le Nigéria pourrait passer de 162 millions d'habitants à 730 millions d'habitants d'ici la fin du siècle. Le Malawi connaîtrait un boom supérieur, de 15 millions de personnes à 130 millions. En 20 ans, la population africaine a presque doublé, atteignant 1,11 milliards d'habitants soit 15,5% de la population mondiale. En 2100, le continent africain abriterait près de 38% de la population sur la planète.

Mais Manuel Valls ne voit que le prisme démographique et réfléchit avec des paramètres plus ancrés dans le présent, voire le passé, que dans le futur.

Le ministre de l'Intérieur oublie la future croissance économique

À vouloir faire peur avec une invasion africaine, il en oublie qu'une telle croissance démographique sera également accompagnée par une croissance économique.

Ainsi, la Banque africaine de développement a rendu un rapport au début de l'été montrant que le continent africain est celui qui connaît la croissance la plus rapide dans le monde avec un taux de 6% en moyenne pour les trois prochaines années. 350 millions d'Africains gagnent à présent entre 1,5 et 15 euros par jour et la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté a chuté, passant de 51% à 39% entre 2005 et 2012.

Il faut espérer que la tendance continue, ce qui entraînera mécaniquement pour ces populations un intérêt d'émigrer moins urgent. Bien sûr, les guerres civiles ou internationales, les problèmes de santé (Sida, paludisme, ...), les catastrophes écologiques, les carences alimentaires sont autant de facteurs d'exil. Mais cela ne concerne pas que l'Afrique, continent systématiquement stigmatisé. Après tout, qui parle de l'immigration asiatique (Indiens, Chinois...) ou même latino-américaine ? Le regroupement familial touche toutes les populations immigrées, pas seulement les Africains.

Toujours est-il que ces pays émergents, source de forte croissance et juteux marchés d'exportation – priorité du "Quai d'Orsay Inc." depuis quelques années, seront aussi des territoires où les Français s'expatrieront, pour des raisons économiques (emploi notamment). L'Homme est toujours allé là où la vie pouvait être meilleure. Les flux migratoires sont amenés à être bouleversés au cours du siècle... La simplification du ministre montre bien qu'il n'a pas pris en compte une perspective globale, préférant un constat facile, pour ne pas dire politique.

L'élève Valls hors-sujet

En voulant revoir la politique de regroupement familial, sous ce prétexte démographique, Valls oublie que son raisonnement ne tient pas la route, d'autant plus dans la perspective de la France de 2025.

"La France dans 10 ans sera à coup sûr plus vieille, plus petite, moins riche", estime Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, lors de la présentation de sa vision dans le cadre du séminaire.

Outre l'humanisme évident qu'induit le regroupement familial, mesure de bon sens telle que Cécile Duflot l'a définit mardi dernier, il y a des conséquences à moyen et long terme sur une politique qui ne soit pas "fermée" comme on se barricade derrière une ligne Maginot. Et rappelons que depuis 10 ans, les critères se sont déjà bien renforcés.

L'an dernier, la moitié des 191.452 nouveaux titres de séjour étaient accordés au titre de l'immigration familiale (essentiellement pour un mariage avec une personne française ou la parentalité d'un enfant français). Seulement 16.576 titres étaient accordés pour un regroupement familial. C'est anecdotique et Valls en fait un phénomène de masse (médias).

Étonnant d'ailleurs qu'un ministre de gauche, sous prétexte d'une fermeté d'apparence, ne voit en l'immigration qu'une source de problèmes. Car l'immigration a aussi un effet sur la croissance, par la consommation entre autres. L'Allemagne, menacée de déclin démographique, l'a bien compris, en cherchant à attirer les européens du sud que sa politique d'austérité a mis au chômage.

La réalité actuelle est coûteuse

Mais voyons un peu plus loin. Une France "plus vieille" ? Rajeunissons-la ! Les enfants d'immigrés légaux auront une éducation républicaine, parleront français, enrichiront notre société de leur métissage culturel. Une France qui serait ainsi plus grande et non "plus petite". Tout cela sera un facteur d'intégration bien plus réussi qu'en séparant des familles.

Car la réalité actuelle est plus coûteuse, ce que Valls fait semblant d'ignorer. Quelques exemples : les hommes seuls ont tendance à fréquenter des prostituées, ce qui entraîne un trafic de femmes venant du Ghana, du Nigéria... Ils envoient une grosse part de leurs revenus à leur famille restée sur place : toutes ces devises sont autant d'argent qui ne circulent pas dans l'économie française, condamnée à être "moins riche".

À l'inverse, avec quelques milliers de familles "regroupées", la France restera plus ouverte, et peut-être même plus attractive. Qu'on régule plus intelligemment l'immigration, qu'on revoit le système éducatif pour que les diplômes servent à avoir un job plutôt qu'à remplir les têtes, qu'on soit ferme sur les valeurs laïques de notre société n'empêchent pas une politique visionnaire – et non pas réactionnaire – du regroupement familial.

Il ne faut jamais oublier qu'un partenariat, s'il peut évoluer, reste un rapport de force. Rien ne dit que celui imaginé par Valls sera favorable à la France d'ici quelques décennies. L'effet boomerang et les dommages collatéraux sont des risques trop importants pour que le regroupement familial soit pris en otage par une politique qui n'aurait d'autres solutions que la construction de murs à ses frontières.

25-08-2013, Vincy Thomas

Source : Le Nouvel Observateur

 

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