vendredi 5 juillet 2024 02:23

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Le voile est "l'arbre qui cache la forêt"

Nahida Nakad, ancienne journaliste devenue consultante en relations internationales, a publié «Derrière le voile» aux éditions Don Quichotte. S'appuyant sur divers témoignages, elle s'est posée les questions essentielles pour recentrer le débat sur le fond. Elle démontre que la polémique a fait perdre de vue les vrais problèmes. Entretien.

Comment est né ce projet?

J'ai été un peu poussée à le faire. Je discutais avec l'éditrice de Don Quichotte de la question du voile en France. Or, j'ai une vision un peu différente en ce sens où j'ai beaucoup vécu dans des pays arabes, et couvert ces pays. Et en parlant, on s'est dit qu'il serait intéressant d'expliquer ce que sont les voiles –parce qu'il n'y en a pas qu'un seul*-, surtout de la part de quelqu'un qui vient d'un pays qui s'est déchiré à cause du communautarisme religieux [le Liban, Ndlr]. Car du coup, je suis très respectueuse de l'importance de la laïcité, et en même temps de la religion.

Quel était votre objectif?

J'ai voulu expliquer combien il était important d'apaiser le débat, et de le recentrer sur les vraies questions. Car–et c'est ce que j'espère avoir expliqué dans ce livre- le problème n'est pas le voile, il est ailleurs. Il l'est devenu en France, maisc'est l'arbre qui cache la forêt. A force de ne regarder que le voile, on laisse passer des choses, on ne fait pas attention à ce qui se passe en profondeur dans la société française, qui est une islamisation réelle, et plus que cela –ce que j'explique dans le chapitre «La Oumma»-ce sentiment d'appartenance à la communauté religieuse plus qu'à la Nation. Or, c'est le plus grand danger qui puisse exister dans un pays. Je l'ai vu au Liban, et je le crains en France –dans une bien moindre mesure, toutefois, car c'est un pays ancien qui a des racines démocratiques bien ancrées, et qui a ses garde-fous.

La responsabilité des médias et des politiques

Quel rôle ont eu les médias dans cette focalisation de l'attention sur le voile?

Ils ont eu un rôle important, surtout dans les années 1989-1990, quand on a découvert qu'il y avait des femmes voilées à l'école. Ce sont des changements qui sont arrivés très vite en France, et on n'y était pas préparé. Mais nous n'avons pas pris le temps d'y réfléchir, pensant que ça n'allait pas poser problème à partir du moment où on allait dire aux gens: «Vous êtes français, vous êtes comme nous, vous pensez comme nous, vous mangez comme nous.» C'est une très belle idée mais c'est faux!
La réalité est qu'il a des gens qui gardent leur culture, dont on pourrait s'enrichir-c'est ça une société multiculturelle!
Et aussi qu'il y a un passif historique très important qui est dû à la colonisation, et qu'on ne veut pas voir parce qu'on se dit que le temps a passé. Alors que seulement 50 ans ont passés, c'est-à-dire à peine deux générations.

Donc les médias se sont emballés, mais aussi leurs interlocuteurs.

Au départ, on avait du mal à choisir ces interlocuteurs. Il y avait, d'une part, ces filles voilées, qui parlaient français, ce qui déboussolait complètement l'opinion publique. Et d'autre part les laïcs qui étaient sincèrement choqués, et dont les propos étaient donc assez disproportionnés.
Or, il ne faut pas oublier que les médias de masse sont les télévisions généralistes –surtout à l'époque-, notamment le JT de 20h. Et qu'ils avaient quoi? 1,30 minute d'antenne consacrée à ce sujet? On ne peut pas expliquer les choses en profondeur en 1,30 minute.

Puis jusqu'à la loi de 2004, les deux extrêmes se sont relayés sur les plateaux: soit les personnes qui voulaient forcer le voile à l'école et ailleurs, soit ceux qui voulaient le bannir et ne connaissent rien à la religion musulmane. On a oublié toutes les personnes qui auraient pu en parler sereinement, sans avoir d'enjeu derrière; sans considération électoraliste par exemple.

Donc les politiques ont également eu un rôle dans ces amalgames et raccourcis?

Tout à fait. Il est d'ailleurs assez étonnant en France qu'on donne autant la parole aux politiques, sur n'importe quel sujet –plus qu'aux chercheurs, spécialistes etc. Or ils ont failli!
Entre 1989 et 2004, ils ont réussi à faire une loi sur l'école, qui a permis de fixer des limites. Mais après, la prolifération législative n'a rien arrangé.

Les entreprises privées ne veulent surtout pas, par exemple, que l'on légifère sur ce qu'il se passe chez elles!
D'autant qu'elles ont réussi, elles, à gérer cette question sans polémique -et j'ai découvert ça en faisant le livre-, au cas par cas.

C'est comme faire des sondages pour demander aux gens s'ils sont d'accord ou non pur qu'il y ait des femmes voilées en entreprises, ça ne rime à rien sans évoquer la démocratie, les libertés individuelles!
Essayons de calmer le débat et de regarder les choses une par une.

Aller chercher les bons interlocuteurs

Est-ce vraiment réalisable, vue la direction qu'a pris le débat et l'ampleur de la polémique?

Bien sûr que c'est possible. Il faut que la France regarde ce qu'il se passe ailleurs. Il est vrai que son modèle laïc est unique, mais s'il y a un problème aujourd'hui c'est que les solutions purement françaises ont échoué.

Il existe aujourd'hui des femmes -des professeurs d'université, habitant en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, par exemple- qui connaissent bien la religion musulmane et peuvent expliquer pourquoi c'est une religion de paix et qui n'écrase pas les femmes, du moins pas plus qu'une autre –car les religions en général sont plutôt misogynes.

Si ces femmes, des féministes musulmanes, s'expriment devant des millions de téléspectateurs, expliquant par exemple pourquoi les textes n'imposent pas de mettre le voile, peu à peu, on va réussir à faire avancer des idées qui ne sont pas patriarcales du Coran. Ce qui serait intéressant non seulement pour les Français laïcs, mais aussi pour les musulmans qui se croient intégristes, car ils n'ont pas eu d'éducation religieuse digne de ce nom, et sont donc allés piocher sur internet tout et son contraire.
Je suis peut-être très optimiste, mais il fait du temps pour faire bouger les choses.

Quels autres problèmes ont été occultés, selon vous, à cause de cette obsession du voile?

La question de l'influence croissante des Frères musulmans en France et dans le monde, des salafistes qui sont en train de mettre dans la tête des gens des idées ridicules, d'un autre temps. Ce sont ça les vrais problèmes, mais qui en parle?

On préfère perdre du temps à attaquer quelqu'un comme Tariq Ramadan, au point que deux ministres aient refusé de participer à une conférence parce qu'il était présent. Ce n'est pas une réaction sereine, ni s'attaquer intelligemment au problème! Laissons-le plutôt s'exprimer – on est en démocratie- pour contrecarrer ses arguments.

Par ailleurs, on ne sait pas combien il y a de convertis. Ce serait pourtant intéressant de le savoir, et surtout de se demander pourquoi ils se convertissent.

De ce que j'ai vu, il y a beaucoup de non musulmans qui vivent dans les banlieues et apprécient la façon de vivre des musulmans (cf le chapitre sur Camille, Ndlr). Cette chaleur humaine, cet attachement à la famille: ils se convertissent par attirance à cette culture; aussi peut-être par envie d'être différent. On n'en parle pas assez!

Vous dites que «les textes n'imposent pas de mettre le voile»? Pourtant, dans votre livre, tout semble relatif aux traductions et interprétations...

Le problème, c'est qu'il y a, d'une part, le Coran. Or, le verset du Coran n'est pas clair, ça, tout le monde s'accorde à le dire. (Le verset 31 de la sourate 24, «An Nur», «La Lumière», écrit: «Et dis aux croyantes (...) qu'elles rabattent leur voile sur leurs poitrines ; et qu'elles ne montrent leurs atours qu'à leurs maris, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs maris, ou à leurs fils, ou aux fils de leurs maris, ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs sœurs, ou aux femmes musulmanes, ou aux esclaves qu'elles possèdent, ou aux domestiques mâles impuissants, ou aux garçons impubères qui ignorent tout des parties cachées des femmes». Ndlr) Et d'autre part, il y a le hadit, ce qu'a dit le prophète. Et là, ça se complique. Car chaque Imam peut par exemple délivrer une fatwa (un avis, Ndlr). Sauf que n'importe qui peut se proclamer Imam aujourd'hui.

Pouvoir apprendre l'arabe à l'école

Vous évoquiez tout à l'heure le manque d'éducation religieuse de nombre d'intervenants au débat. Que préconisez-vous pour y remédier?

Premièrement, d'offrir la possibilitéd'apprendre l'arabe à l'école. Il y a quand-même une communauté arabe importante, et cela empêcherait les familles d'être contraintes d'envoyer leurs enfants à la mosquée pour apprendre l'arabe gratuitement -une aberration! C'est comme si on envoyait un enfant à l'église pour apprendre le latin! Cela éviterait que certains enfants tombent bêtement entre les mains d'imams pas forcément recommandables.

Deuxièmement: qu'il y ait la possibilité d'enseigner les religions un peu plus tôt qu'au lycée. Enseigner les religions ne veut pas dire ne pas être laïc, au contraire.

Est-ce qu'à vos yeux un pays a réussi plus qu'un autre en matière d'intégration?

Les Etats-Unis, sans aucun doute. Mais les Etats-Unis sont à l'origine un pays d'immigration, donc c'est plus simple.

La Grande-Bretagne a aussi un peu moins de souci car elle a une approche un peu différente: on respecte votre différence, vous faites ce que vous voulez dans votre communauté.

Donc le communautarisme, tel qu'il est décrié ici, est plutôt toléré là-bas.

Leur situation économique reste toutefois problématique. Comme en France, où l'on voit bien que ce sont les immigrés, français ou non, qui ont le plus de mal à trouver du travail. Sauf que les minorités visibles ont été intégrées dans les médias, les services publics, ou encore le Parlement depuis bien longtemps en Grande-Bretagne –ce qui n'est pas le cas en France.

En 1988, j'étais la seule arabe à l'antenne sur TF1.

De la même manière, en France, il n'y a que l'accent parisien à l'antenne, tandis que sur la BBC, cela fait une dizaine d'années que les accents irlandais, écossais etc. ce sont ajoutés à l'upper class english.

Un climat de peur inquiétant

Combien de femmes avez-vous rencontré dans le cadre de l'écriture du livre?

Une dizaine.

Avez-vous essuyé des refus?

Oui, certaines n'ont pas voulu parler. Par méfiance, surtout.

Et cette rupture est inquiétante aujourd'hui. Les musulmans se sentent visés, malaimé –pour le moins- voire attaqués.

Je vous donne un autre exemple: une chaîne de télévision m'a demandé si je pouvais la mettre en relation avec une des femmes voilées qui témoignaient dans mon livre. L'une d'entre elles a refusé car elle avait peur. Une autre a accepté mais sans révéler son nom de famille –sa famille était mal à l'aise là-dessus.
C'est grave! Car quand on y pense: qu'est-ce qu'elle a fait pour avoir cette crainte? Elle a un voile, c'est tout!

* Dans son livre, Nahida Nakad explique qu'il y a«des voiles»:

- le voile porté par choix religieux

- celui mis par habitude/tradition, sans grande conviction religieuse

- celui choisi de par une volonté d'appartenir, de s'identifier à une communauté. (Parfois, par rejet de la culture occidentale. Parfois, par «effet de mode»

- le voile porté par résignation et protection

- et enfin celui revêtu sous la contrainte d'une autorité masculine.

Les deux derniers étant les pires selon l'auteur.

29 septembre 2013Marie Desnos

Source : parismatch.com

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