vendredi 5 juillet 2024 04:28

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Union Européenne : Le marché juteux des visas Schengen

Des centaines de réfugiés économiques se noient en Méditerranée. Simultanément, Russes, Chinois ou Arabes fortunés acquièrent aisément un droit de séjour en Europe. Coup de projecteur sur un business qui passe souvent par un investissement immobilier.

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Riga, 8 heures du matin. La file d'attente est déjà longue lorsque les guichets des services lettons de l'immigration ouvrent leurs portes. Une foule de Russes, de Kazakhs et de Chinois fortunés patientent avec leurs interprètes et leurs agents immobiliers, contrat de vente à la main.

Certains ne sont propriétaires en Lettonie que depuis quelques heures, bon nombre mettent pour la première fois les pieds dans la capitale et la plupart ne sont de toute manière que de passage. Tous n'attendent qu'une chose des autorités: un permis de séjour. Leur ticket d'entrée pour l'Europe.

Le programme Residence Permit attire des milliers d'étrangers en Lettonie. Rares sont ceux qui élisent vraiment domicile dans le pays, mais chaque étranger acquérant un bien immobilier d'une valeur d'au moins 50 000 lats (70 000 euros) en province, ou de 100 000 lats dans la capitale, se voit octroyer un permis de séjour de cinq ans. Autrement dit, un accès libre à l'espace Schengen des 26 Etats européens. Cela fait trois ans que le gouvernement letton a adopté ce programme controversé pour sauver son marché immobilier, en grande difficulté. Aujourd'hui, d'autres pays européens suivent l'exemple de la république balte.

L'Europe, forteresse sélective

De l'argent contre un visa Schengen, voilà ce que proposent désormais les gouvernements de Grèce, d'Espagne ou de Hongrie pour attirer les capitaux étrangers. Cette initiative leur permet de contourner les sévères lois européennes sur l'immigration et les demandes d'asile. Elle laisse également songeur au plan éthique, comme nous le rappelle le triste destin de centaines d'Africain, morts noyés au large des côtes de Lampedusa.

La forteresse Europe ferme hermétiquement ses portes aux émigrés pauvres : au moins 2 000 personnes ont perdu la vie en Méditerranée depuis le début de l'année 2011, rapporte l'Agence des Nations unies pour les réfugiés. Certains gouvernements européens veillent toutefois à laisser une porte de derrière ouverte aux migrants plus fortunés. "C'est du cynisme, déplore Karl Kopp, représentant de l'ONG Pro Asyl au niveau européen. On repousse par tous les moyens ceux qui ont vraiment besoin de protection et on distribue des laissez-passer à ceux qui ont suffisamment d'argent." L'exemple letton inspire surtout les Etats financièrement fragilisés par la crise de l'euro.

En Espagne, une nouvelle loi entrée en vigueur le 1er octobre permet aux étrangers faisant l'acquisition d'un bien immobilier d'une valeur d'au moins 500 000 euros de se voir accorder un permis de séjour. Les professionnels du secteur s'attendent à accueillir jusqu'à 300 000 nouveaux clients.

Depuis cet été, les autorités grecques promettent un permis de séjour de cinq ans à tous les étrangers investissant au moins 250 000 euros dans un bien immobilier. Théoriquement, ce document limite les séjours des citoyens non européens dans les pays de l'espace Schengen à "seulement" quatre-vingt-dix jours par semestre, mais, dans les faits, les contrôles sont presque inexistants.

Depuis octobre 2012, le Portugal propose un "visa gold": un permis de séjour d'au moins deux ans contre un achat immobilier d'au moins 500 000 euros.

Une affaire trop juteuse

En Hongrie, le gouvernement de droite nationaliste – qui s'emploie d'ordinaire à tenir les étrangers à l'écart de son précieux territoire national – a mis en place depuis juillet un programme intitulé Residence Permit Bond. Sauf qu'il ne s'agit nullement d'emprunt mais de permis de séjour. Pour l'obtenir, les étrangers doivent renflouer les caisses de l'Etat hongrois à hauteur de 250 000 euros minimum. Sans oublier 40 000 euros de taxes obligatoires à verser à des entreprises partenaires quelque peu douteuses ayant leur siège social dans des places financières offshore comme Chypre ou les îles Cayman.

"Ce type de programme fait perdre toute crédibilité à l'Europe", explique Birgit Sippel, porte-parole des eurodéputés SPD pour la politique de sécurité et de migration. L'octroi des permis de séjour reste fondamentalement du ressort des Etats. "Sauf que cela concerne toute l'Europe. On ne peut pas formellement exclure une catégorie de personnes et distribuer à d'autres des visas à discrétion pour accéder à l'ensemble de l'espace Schengen."

Presque aucun nouveau résident n'est resté en Lettonie. D'après les chiffres des autorités de l'immigration, moins d'un cinquième des bénéficiaires du programme se sont durablement établis dans la république balte. Tous les autres ont mis leur bien immobilier en location ou l'ont laissé vide pour partir en France, en Autriche ou en Allemagne. "Je suis très sceptique depuis le début, explique Ilze Briede, responsable des services de migration. La délivrance d'un permis de séjour a pour objectif de permettre une installation durable dans le pays." Reste que le programme fait consensus dans la classe politique : il a déjà permis d'injecter près de 600 millions d'euros dans les caisses de l'Etat.

Ce marché de visas Schengen est tout simplement une affaire trop juteuse.

ctobre 2013, Claus Hecking

Source : courrier international/Der Spiegel

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