Après son dossier fustigeant « la France des assistés », Le Point publie un dossier sur l'immigration qui, tout en voulant démonter les arguments du Front national, fait le jeu de l'extrême droite.
Les mensonges du Point, épisode 2 ? L'hebdomadaire de droite fait sa une du 21 novembre sur le thème : « Immigration, l'enquête qui dérange ».
Pourquoi dérangerait-elle cette enquête ?
1. A priori, elle pourrait déranger les électeurs de droite parce qu'elle ambitionne de démonter les idées reçues sur ces immigrés qui coûteraient cher à la France.
2. A priori parce qu'elle prétend donner des arguments pour contrer ceux du Front National. Et finalement, parce qu'elle réalise les points 1 et 2 tout en laissant supposer le contraire en une : [immigration]« Idées reçues, idées cachées. Ce qu'elle coûte, ce qu'elle rapporte ».
Pour preuve :
- Non, « la mondialisation n'a pas provoqué une invasion, dans les pays riches, d'immigrés en provenance des pays pauvres ».
- Non, la France n'en accueille pas plus que les autres : 200 000 migrants par an en moyenne depuis le XIXe siècle. « A titre de comparaison, l'Allemagne a accueilli sur son sol en 2012 plus de 1 million de migrants. », précise le Point.
- Non, la réalité n'égale pas le ressenti : « Les Français évaluent à 25 % la population immigrée alors qu'elle n'est que de 8,2 %. »
- Non, les immigrés ne prennent pas le travail des Français :« L'immigration présente parfois un impact légèrement négatif à court terme sur le marché du travail, mais son impact apparaît toujours positif à moyen et long terme. »
- Non, « les immigrés ne tirent pas les salaires vers le bas. Au contraire... »
- Non, « l'immigration ne peut être tenue pour responsable des déficits des services publics. Au contraire... »
Pour sa démonstration, le journaliste du Point, Pierre-Antoine Delhommais, s'appuie en majorité sur les conclusions d'un essai de Xavier Chonjincki et Lionel Ragot : L'immigration coûte cher à la France : qu'en pensent les économistes ?, publié chez Eyrolles en partenariat avec Les Echos, en avril 2012.
Non seulement ce livre n'est plus très facilement accessible mais en plus il s'appuie sur des études qui remontent à plusieurs années (le « RMI »...). Mais, d'après François Gemenne, spécialiste des migrations à l'université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines, et à l'Université de Liège (FNRS/CEDEM), Pierre-Antoine Delhommais a pris soin, avec Xavier Chonjincki, « de choisir un économiste honni du FN ».
Ce serait faire un mauvais procès au Point que de considérer qu'il reproduit avec ce dossier tout à fait le même exercice que dans celui sur la France des assistés.
Il n'en reste pas moins que cette enquête dérange, presque insidieusement.
Dans la matrice du Front national
Tout d'abord, la conclusion est ambivalente, sur le mode « ni oui ni non ». Le Medef ne serait pas d'accord. Mais les parlementaires qui ont signé en mai 2011 un rapport démontrant que les immigrés rapportent plus qu'ils ne coûtent, non plus.
D'après François Gemenne, il faut saluer l'effort d'objectivité de ce dossier. Selon lui, le problème ne se situe pas tant dans le contenu que dans la démarche :
« Les immigrés ne sont appréhendés qu'en fonction de leur potentielle valeur économique. C'est la seule catégorie dans la population qu'on traite ainsi sans considérer ses autres apports possibles. En outre, et c'est là où cela devient pervers, quelle leçon aurait-il fallu retenir d'un tel dossier si le journaliste du Point était arrivé à la conclusion inverse, c'est-à-dire que les immigrés coûtaient en réalité très cher à la France ? Qu'il fallait stopper l'immigration ? Pierre-Antoine Delhommais démontre que l'impact économique des immigrés est quasi nul mais, sous couvert de démonter les arguments du FN, il se glisse dans la même matrice d'analyse. »
En outre, dans le paragraphe suivant, la France des assistés repointe le bout de son nez :
« Ce qui est vrai en revanche, c'est que les immigrés non originaires de l'Union européenne font plus fréquemment appel aux aides sociales que les Français. Ils sont 3,8 fois plus représentés que les natifs parmi les bénéficiaires du RMI, 2,5 fois plus dépendants des aides au logement, 1,6 fois plus nombreux à recevoir une allocation chômage, et ont 1,4 fois plus recourt aux aides à la famille. »
Pierre-Antoine Delhommais prend des précautions : c'est la mauvaise intégration par la France des migrants qui les rend consommateurs d'aides sociales. « Ce qui est vrai, insiste François Gemenne : si les demandeurs d'asile avaient le droit de travailler, ils auraient moins besoin de l'allocation d'attente pendant le traitement de leur dossier, d'hébergement pour demandeurs d'asile etc.). »
Mais le lexique employé par le journaliste du Point perfore ses précautions : les étrangers – qu'il nomme systématiquement « immigrés » - sont-ils effectivement « naturellement susceptibles de percevoir des aides sociales » ? Pierre-Antoine Delhommais sous-entend-il qu'il serait « dans leur nature » de bénéficier des aides sociales ?
« Il ne faut pas compter sur l'immigration pour résoudre la crise de la dette, ni pour faire face au vieillissement de notre population et sauver nos retraites... », glisse aussi ce journaliste qui a reçu de la part de l'Aleps le « prix du journaliste libéral ».
Les médias complices du FN, titrait Politis le 31 octobre (N°1275). L'habillage des articles du dossier du Point est parfois plus révélateur encore. Par exemple, page 66, dans un article intitulé : « Pourquoi les Duduveica ont choisi la France », une famille Rom témoigne de sa volonté de travailler dans l'hexagone. Le Point a choisi de mettre en exergue la phrase suivante :
« On paie pour les conneries que certains Roms font en France. »
Commentaire de François Gemenne :
« Comme ce sont des Roms qui le disent, le Point se sent protégé de tout accusation de racisme, mais l'impact est le même, voir pire, puisque les immigrés eux-mêmes semblent avoir intégré les préjugés racistes. »
A quelques jours de la grande mobilisation nationale du 30 novembre contre le racisme, voilà un dossier qui est du meilleur effet. (Consulter le dossier du magazine Le Point)
25 novembre 2013, Ingrid Merckx -
Source : politis.fr