vendredi 5 juillet 2024 04:29

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"L'Escale" : du côté des migrants, du côté de la vie

Le film se passe à Athènes. Ce pourrait être Marseille, ou une autre ville européenne du bord de la Méditerranée. On y voit à peine la mer, et pas le moindre vestige antique. On n'y évoque même pas la crise financière. Le film ne s'écarte guère de l'espace d'une pension de fortune, tenue par un homme, Amir, où échouent les réfugiés iraniens en transit. On atterrit là après un éprouvant voyage, et l'on s'y cache, le temps de trouver les papiers nécessaires pour vivre à la lumière du jour. Le temps de l'escale peut durer longtemps. C'est le temps de ce beau documentaire.

Venu à Athènes prêter main-forte à un cousin, lui-même migrant, en difficulté, Kaveh Bakhtiari, jeune cinéaste suisse d'origine iranienne s'est naturellement retrouvé chez Amir et y est resté. Pendant un an, il a vécu avec les pensionnaires et a filmé leur vie. Une vie dans l'ombre des marges, faite de petits riens, mais une vraie vie, parfois illuminée par des accès de joie intense, parfois foudroyée par des drames. Chez Amir, on bavarde, on joue, on se raconte des histoires, on fait de la boxe sur des putching-balls de fortune bricolés avec les gilets de sauvetage de la traversée, on prend l'air en guettant les allers et retours des policiers, on s'intègre à la grande boucle du trafic de faux papiers, on prépare le départ d'un copain qui a trouvé un passeport avec une photo suffisamment ressemblante, on concocte des breuvages pour un autre qui, épuisé d'attendre une réponse à sa demande d'asile, s'est cousu les lèvres et a commencé une grève de la faim...

DU CÔTÉ DE LA VIE

La mort rôde partout. Dans les récits qui sont faits face à la caméra, dans les histoires dont on saisit des bribes. Mais elle n'a jamais le dessus. C'est ce qui distingue ce film du tout-venant des reportages et documentaires sur les migrants. En filmant au plus près de ses personnages, Kaveh Bakhtiari s'est mis de leur côté, et, partant, du côté de la vie. Jamais dans la complainte, ces voyageurs font figure d'aventuriers embarqués dans une épopée légendaire, qui se débrouillent avec ce qu'ils ont sous la main, résistent à l'adversité, tendus vers leur destination finale. Le sentiment est fort d'être avec des humains, des frères, qui pourraient aussi bien être nous.

Tout dans la mise en scène contribue à les héroïser, et à nourrir chez le spectateur un fort sentiment d'empathie et d'identification : l'évidence de leur présence, leurs corps souverains dans cet espace dont les contours se dérobent, le pur présent dans lequel le film est installé... Pas étonnant que le film ait eu plus de succès dans les festivals de fiction que dans le milieu du documentaire.

26.11.2013, Isabelle Regnier

Source : LE MONDE

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