Le Maroc aurait son propre mur de séparation tout le long de la frontière avec son voisin oriental. C’est ce qu’a révélé dernièrement une certaine presse de la place. Inquiet par les agissements des mafias de contrebande et des stupéfiants et pressé par l’augmentation du flux des migrants irréguliers sur son territoire, le Royaume envisagerait de dresser un grillage le long de la frontière maroco-algérienne, s'étendant sur une distance de 450 km de Saidia à Figuig. Un projet qui suscite d’ores et déjà la polémique et jette un pavé dans la mare.
En effet, les associations œuvrant dans le domaine des migrations n’ont pas hésité à émettre des objections à la construction d'une telle barrière. « Même si on ne dispose pas d’informations confirmant ou infirmant ce projet, on est contre toute militarisation des frontières et la restriction des libertés de circulation», nous a déclaré Hicham El Baraka, président d’ABCDS Maroc, association qui vient en aide à ces migrants à Oujda. Et d’ajouter: « Cette entreprise nous laisse perplexe parce que le Maroc a déjà émis son objection concernant la construction de la barrière du préside occupé de Mellilia». Même son de cloche de la part de Khadija Elmadmad, chaire Unesco «Migration et droits humains», Université Hassan II de Casablanca, qui estime que ledit grillage aura certainement des conséquences sur les droits des migrants. « Si le Royaume a le droit d’exercice sa souveraineté sur son territoire, il reste pour autant la question de garantie des droits des migrants. C’est le cas, par exemple, des demandeurs d’asile. On se demande si le Maroc permettra au HCR et aux associations œuvrant dans le domaine de la migration d’accéder à ces zones», nous-a-t-elle précisé.
Mais l’Algérie est-il aujourd’hui un pays émetteur de migrants irréguliers vers le Maroc ? «Oui», nous a répondu Hicham El Baraka. «Les chiffres et les statistiques manquent mais sur le terrain, le constat est flagrant. Un grand nombre de migrants entrent clandestinement au Royaume via Maghnia, la ville algérienne la plus proche, pour arriver à Oujda et Nador», nous a-t-il expliqué.Suite de la première page
Notre source nous a révélé que s’il y avait une certaine baisse, ces derniers mois, du flux migratoire due au renforcement des contrôles aux frontières à cause de la guerre au Mali, de plus en plus de migrants irréguliers quittent l’Algérie pour le Maroc afin d’échapper aux attaques des bandes mafieuses et aux agressions des forces de l’ordre algériennes. «Aujourd’hui, les migrants irréguliers souffrent le martyre en Algérie à l’insu de tout le monde d’autant qu’il y a peu d’associations qui s’occupent des droits des migrants dans ce pays », nous a-t-il affirmé.
Pourtant, nos sources sont unanimes à souligner que la mise en place de ce grillage aurait des conséquences néfastes sur les relations entre les deux pays. Ainsi, Khadija Elmadmad estime que ce projet portera un coup dur à l’unité maghrébine. Même constate de Hicham El Baraka. Il pense que ce sont les peuples des deux pays qui seront les premiers perdants. Certains spécialistes vont plus loin, en avançant que cette entreprise éventuelle susciterait des réactions de la part de l’Algérie à l’instar de la campagne menée depuis peu contre le Royaume.
Autres interrogations suscitées par ce projet et non des moindres: le coût de ce projet. En effet, nombre de spécialistes de la question migratoire se demandent combien cette clôture coûterait au budget de l’Etat. Des expériences mondiales similaires démontrent que le mur séparant les Etats-Unis et le Mexique aurait coûté de 10 à 20 milliards de dollars et que la barrière de Mellilia a été estimée à 33 millions d'euros. Des sommes faramineuses sans compter les frais de maintenance et de fonctionnement. Le Royaume a-t-il les moyens de ses ambitions ? Difficile de trancher mais ce qui sûr, c’est que ces murs de séparation ont déjà montré leurs limites. Le cas des Etats-Unis est édifiant à ce sujet. En effet, la Cour des comptes américaine a révélé que certaines parties des barrières ont été traversées plus de 3000 fois en trois ans, découpées ou trouées à 1300 reprises par les immigrants ou leurs passeurs. Pire, cette barrière dont la construction a commencé en 2002, aurait limité de 25 % seulement l'immigration mexicaine. Même constat au niveau de la barrière de Mellilia qui a enregistré une hausse de 87% des tentatives de franchissement entre le 1er janvier et le 17 septembre 2013.
30 Novembre 2013, Hassan Bentaleb
Source : Libération