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Rome annonce l'évacuation du centre de Lampedusa

Le gouvernement italien a annoncé qu'il viderait dès mardi 24 décembre le centre d'accueil des réfugiés de Lampedusa. « D'ici à la fin de la journée, le centre de Lampedusa sera vidé de ses quelque 200 immigrés », a déclaré le vice-ministre de l'intérieur Filippo Bubbico dans un interview au quotidien Avvenire.

Khalid Chaouki, député du Parti démocrate (PD, gauche), passera peut-être Noël dans le centre de premiers secours bondé de Lampedusa. Ces baraquements inconfortables sont, pour la plupart des immigrés et des réfugiés qui accostent sur ce caillou au milieu du canal de Sicile, leur première halte en Italie et en Europe. Ils sont ensuite envoyés dans un centre d'identification et d'expulsion (CEI) sur le continent.

Pour ce jeune parlementaire de 30 ans d'origine marocaine, élu de Campanie, ce séjour n'était pas prévu. Dimanche 22 décembre, lorsqu'il arrive sur l'île pour une inspection, il souhaite faire le point après les images sinistres diffusées la semaine dernière par une chaîne de la télévision publique, montrant des réfugiés nus, en file indienne, attendant dans le froid pour être aspergés d'un produit contre la gale. La vague d'émotion et de protestation a conduit à l'ouverture d'une enquête. L'Union européenne a menacé de tarir les crédits alloués à l'Italie pour gérer les flux migratoires. L'entreprise gestionnaire du centre a été révoquée.

Mais un scandale peut en cacher un autre. Dans ce centre où les séjours ne peuvent normalement dépasser quatre-vingt-seize heures, M. Chaouki a découvert la présence de sept Erythréens survivants du naufrage qui, le 3 octobre, a causé la mort de 366 personnes, suscitant une indignation planétaire. Il a décidé de partager leur sort, jusqu'à ce qu'ils en sortent, eux et les 200 autres réfugiés qui résident pour l'instant dans le centre de Lampedusa.

« Le jour du naufrage, le monde entier a pleuré, raconte le député joint par téléphone. Mais le plus frappant ici, c'est l'incroyable solitude de chacun. Tous ceux qui sont ici le sont depuis plus de quatre-vingt-seize heures. C'est un lieu plein de tristesse et de frustration, une sorte d'île au milieu d'une île. Cela fait peur. On m'a donné, comme à tous ceux qui entrent ici, une brosse à dents, une serviette et un pyjama, et j'ai passé la nuit dans une chambre avec sept réfugiés syriens. Le personnel fait ce qu'il peut pour aider. J'ai vu des personnes prêtes à porter secours. Mais que peuvent-ils faire lorsque, en une journée, mille immigrés débarquent en même temps ? »

BOUCHE COUSUE DE FIL BLANC

Les images de la télévision et l'action de M. Chaouki ont redonné de la vigueur à la réflexion en cours en Italie sur les conditions d'accueil et de présence des immigrés sur le territoire italien. D'autant que, dans le même temps, une dizaine de Marocains et de Tunisiens irréguliers ont concentré les médias sur leur action spectaculaire. Ils se sont cousu la bouche d'un fil blanc et ont entamé une grève de la faim pour protester contre leurs conditions d'hébergement dans le CEI de Ponte Galeria, près de Rome.

La loi Bossi-Fini de 2002, des noms du fondateur de la Ligue du Nord et de l'ancien président du parti postfasciste Alliance nationale, régit durement les conditions de vie des immigrés. Une fois entrés sur le territoire, ils peuvent y déposer une demande d'asile, qui est rarement acceptée. En attendant d'être fixés sur leur sort et d'être identifiés par les consulats, ils séjournent dans l'un des treize CEI, pour une durée de soixante jours maximum.

Cet arsenal a été durci en 2009 par l'introduction du délit d'immigration clandestine (très peu appliqué) et l'allongement de la rétention en CEI jusqu'à dix-huit mois. Cette vision strictement répressive de l'immigration n'a pas empêché 41 000 personnes de pénétrer en Italie en 2013, dont plus de la moitié via Lampedusa.

Désormais, les demandes de fermeture des CEI se multiplient. Du chef du PD, Matteo Renzi, au pape François en passant par le Prix Nobel de la paix 1976, l'Irlandaise Betty Williams : « Dans quel esprit préparez-vous Noël quand tout le monde sait qu'il y a des personnes en camp de concentration ? », a-t-elle lancé au président du conseil, Enrico Letta. Celui-ci a promis qu'une nouvelle loi limiterait à deux mois le séjour des immigrés dans les CEI. « Le geste des Maghrébins nous impose de rouvrir le débat national sur une législation qui assimile ceux qui fuient les guerres, la violence et la pauvreté à des criminels de guerre », a déclaré le maire de gauche de la capitale, Ignazio Marino.

Laissée le plus souvent seule pour affronter les vagues d'immigration, l'Italie s'est souvent placée sous le feu des critiques des pays du Nord, moins concernés par le problème. Elle a été condamnée en 2011 par la Cour européenne des droits de l'homme en raison de la pratique, défendue par l'ancien ministre de l'intérieur Roberto Maroni (Ligue du Nord), consistant à raccompagner vers leur pays de départ (Libye et Tunisie) les embarcations d'immigrés et de réfugiés avant qu'elles n'accostent sur les rivages de la Péninsule.

« GESTION DU CENTRE DE SECOURS DE L'ÎLE DEVENUE INTOLÉRABLE »

Un autre rapport qui sera remis prochainement au Conseil de l'Europe risque de la mettre une nouvelle fois sur la sellette. Rédigé par la commission migration de la Chambre des députés, il est consacré essentiellement à la question de Lampedusa. « La gestion du centre de secours de l'île est devenue intolérable, explique le député (PD) Sandro Gozi. Certes, il y a beaucoup de préjugés dans les reproches adressés à l'Italie, mais nous devons être irréprochables si nous voulons demander des améliorations au niveau européen telles que la réforme de la norme Dublin II. » Ce règlement européen pose le principe qu'un seul Etat membre est responsable de l'examen d'une demande d'asile. M. Gozi souhaite notamment voir abroger plusieurs points de la loi Bossi-Fini, dont le délit d'immigration clandestine, et réviser le système de demande d'asile.

Reste à savoir si le moment est propice et si l'opinion, chauffée par une vague populiste, est prête à tourner le dos à une vision répressive de l'immigration. « Nous ne devons pas nous placer sur un terrain humanitaire ou idéologique, explique M. Gozi, mais simplement sur celui de l'efficacité. Nos lois ne fonctionnent plus. Il faut donc en changer. C'est aussi simple que cela. »

Lundi, lorsqu'il s'est réveillé au milieu de ses compagnons de chambrée, dans le centre de Lampedusa, Khalid Chaouki s'est entendu dire par l'un d'eux : « Merci, tu nous as fait connaître un autre visage de l'Italie. »

24.12.2013, Philippe Ridet

Source : LE MONDE

 

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