vendredi 5 juillet 2024 02:17

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Sandro Cattacin: «A Genève, tout le monde est minoritaire»

Le professeur de Sociologie de l’Université de Genève analyse l’immigration à Genève.

Le 9 février, le peuple est appelé par l’UDC à voter sur son initiative qui donne mandat au Conseil fédéral de renégocier l’accord avec l’Union européenne sur la libre circulation des personnes et de régler l’immigration, frontaliers compris, par un système de contingents. Ce texte concerne particulièrement le Canton, dont la population étrangère atteint 37% de la population. Mais qu’est-ce que l’immigration à Genève? Interview de Sandro Cattacin, professeur de Sociologie de l’Université de Genève.

Sandro Cattacin, qu’est-ce qui caractérise l’immigration genevoise par rapport à l’immigration ailleurs en Suisse?

– Une histoire différente. L’immigration est un phénomène récent en Suisse qui mis à part le Refuge n’est pas attractive avant le XIXe. A partir de là, la construction des grandes infrastructures de transport entraîne l’arrivée d’étrangers en Suisse alémanique. A Genève, en revanche l’immigration est celle d’une élite intellectuelle. Autre différence: entre 1914 et 1945, le nombre d’étrangers diminue en Suisse, mais pas à Genève qui garde cette population souvent liée à la Genève internationale. Après guerre, Genève et la Suisse convergent. L’immigration des Italiens, du nord, puis du sud, puis des Espagnols nourrit l’industrie. Seule différence: en Suisse romande, on retrouvera des Portugais, en Suisse allemande des Turcs. Les Portugais vont d’ailleurs remplacer les Espagnols et les Italiens.

Aujourd’hui, qui sont les immigrés à Genève?

– La fin des quotas dans les années 90, la fin des saisonniers a provoqué une explosion des provenances d’immigration. Le vieux triptyque: arrivée-intégration-assimilation ne tient plus. Imaginez, chaque mois, 4000 personnes suisses ou étrangères quittent ou rejoignent Genève. Si on faisait de la mauvaise statistique cela voudrait dire que la population du canton se renouvelle complètement chaque année. C’est faux naturellement, mais les mouvements, le brassage est incroyable, même au sein de la population suisse et du coup aucun groupe ne domine au sein de l’immigration genevoise. Alors qu’à Bâle l’empreinte italo-turque est présente comme à Zurich celle des Italiens et des Kosovars, à Genève on ne sent pas grand-chose.

Selon vous, le canton qui compte le plus grand nombre d’immigrés est celui ou ils sont «invisibles»?

– Oui, Genève est à cet égard la plus New-Yorkaise des villes européennes. A l’interne, il y a de telles différences entre étrangers, par nationalité, catégorie de permis, situation sociale qu’il n’y a pas de groupe dominant. On trouve le Roi d’Italie et le paysan calabrais, le riche brésilien et le clandestin, le Suisse venu d’ailleurs, l’enfant de parents confédérés immigrés vingt ans avant. A Genève, tout le monde est minoritaire et il ne peut donc pas y avoir de discrimination. C’est une situation unique.

Unique, mais positive ou négative?

– Positive en ce sens que Genève est extrêmement dynamique, un dynamisme notamment lié à ces mouvements migratoires. Négative si on veut car Genève bouge tellement qu’elle ne sait plus ou elle en est. Genève se réinvente en permanence et son défi, c’est qu’elle trouve un discours sur elle-même. Nous menons actuellement une étude sur trois quartiers de la Ville pour voir comment cette cohabitation fonctionne, autrement dit pourquoi cela n’explose pas. Notre hypothèse, c’est que si ça marche, c’est que la vie à Genève est partiellement. déterritorialisée.

Qu’est-ce que cela signifie?

– Par exemple qu’on travaille dans un quartier, mais on habite dans un autre et on a ses loisirs dans le troisième. Ces changements rapides du milieu se traduisent par une hypervigilance des gens à leur environnement. En même temps, ces changements sont intégrés, normalisés, rapidement. Tant que l’adaptation est aussi rapide que le changement, il n’y a pas de problèmes. ceux-ci naissent quand l’adaptation décroche. Le risque, c’est qu’ils s’enferment chez eux, désinvestissent la société et cessent de participer. L’enjeu public, c’est donc de maîtriser la vitesse du changement.

En limitant l’immigration?

– Je ne pense pas que ce soit possible. La solution des quotas était adaptée à la société des années 50-70 et à une immigration homogène. Aujourd’hui, la situation est très différente et les besoins de l’économie aussi. Plus que sur la réalité, l’impact principal de l’initiative serait sur l’image de la Suisse, qui apparaîtrait comme anti-urbaine et en replis, alors que la réalité des faits, c’est l’inverse.

Mais un retour des quotas limiterait bien l’immigration.

– On peut lutter pour revenir à une Genève sympathique et rustique. Mais ce serait prendre le risque de porter atteinte à ce climat d’innovation porté par cette mobilité extrême qui fait le succès de Genève. En Allemagne, certaines villes dominées par l’extrême droite ont lutté contre l’immigration et se sont déclarées «sans étrangers». Le résultat économique a été mauvais, la population a baissé avec pour conséquence une explosion de l’aide sociale.

Comment gère-t-on l’intégration dans une société qui évolue sans cesse?– C’est très difficile. D’abord en Suisse la politique d’intégration est décentralisée et veut dire des choses différentes d’un canton à l’autre. Ensuite, la mobilité est telle à Genève que l’intégration n’a plus vraiment de sens. Il faut la gérer de manière souple en prenant en compte les différences d’utilisation des lieux, en consultant toutes les populations utilisatrices. (TDG)

24.01.2014, Marc Bretton

Source : tdg.ch

 

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