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Passeports à vendre dans l'espace Schengen

Pour attirer de riches investisseurs étrangers et augmenter leurs revenus, de nombreux pays de l’espace Schengen, dont la France, monnaient leurs titres de séjour. Une immigration que Bruxelles ne peut contrôler. Une enquête de Frédéric Therin pour Enjeux Les Echos, Mars 2014.

Pourquoi acheter à prix d’or de faux papiers lorsque plusieurs gouvernements européens monnayent eux-mêmes visas et passeports en bonne et due forme ? Avec la crise, de plus en plus de pays membres de l’espace Schengen ont choisi de vendre des titres de séjour pour renflouer leurs caisses. Les Chinois et les Russes n’iront pas s’en plaindre. Masha peut en attester. Cette jolie étudiante moscovite vit aujourd’hui aux Pays-Bas en toute légalité grâce à la fortune de son père. « Mon papa m’a acheté un terrain avec une carrière en Lettonie, explique-t-elle. Grâce à quoi j’ai pu non seulement décrocher un permis de résidence, mais j’engrange en plus des bénéfices. Le promoteur Latgeo Invest s’est chargé de toute la paperasserie pendant que je me prélassais avec mon père au bord de la mer. Maintenant, je peux étudier à Amsterdam et je n’ai eu à payer que 1 500 euros de droits d’inscription, au lieu de 8 000, car je suis considérée comme une citoyenne européenne. J’ai donc économisé 6 500 euros. » La jeune femme « oublie » juste de préciser ce qu’a coûté à ses parents la carte de séjour européenne de leur « princesse » : 100 000 euros à investir dans une carrière censée leur rapporter 3% par an.

Cinq ans à Riga

Un photographe russe, lui, a préféré acheter un peu de terrain dans une résidence de vacances située à Jurmala, ville balnéaire lettone appréciée autrefois des hiérarques soviétiques comme Leonid Brejnev et Nikita Khrouch-tchev, et obtenir un permis de résidence pour toute sa famille. « Aujourd’hui, je n’ai plus à calculer depuis combien de jours je suis dans l’espace Schengen car je suis devenu officiellement un résident de l’Union européenne », témoigne-t-il dans la plaquette publicitaire de Latgeo Invest. Cette société lettone, qui possède des carrières et des terrains à bâtir, n’est pas la seule à profiter de la décision du gouvernement balte. Depuis 2010, Riga accorde en effet un visa d’une durée de cinq ans, avec la possibilité ensuite d’être naturalisé, aux étrangers qui investissent au moins 72 000 euros en province (150 000 euros dans la capitale) dans des projets immobiliers. La banque Rietumu, par exemple, explique sur son site Internet qu’une personne peut obtenir une carte d’identité européenne si elle dépose dans ses coffres 300 000 euros en liquide. Un entrepreneur qui accepte d’investir 36 000 euros dans une nouvelle entreprise et qui s’engage à payer au moins 28 000 euros d’impôts chaque année peut, lui aussi, recevoir les papiers qui lui permettront de vivre dans un des 26 pays membres de l’espace Schengen. Ces formules rencontrent un franc succès.

Presque du 100 % en Lettonie

Depuis juillet 2010, près de 7 000 personnes, originaires principalement de l’ancienne URSS (71% de Russes, 8% d’Ukrainiens et 5% de Kazakhs), ont décroché un permis de résidence letton grâce à leurs investissements qui ont dépassé… 600 millions d’euros, selon un rapport gouvernemental. Le cabinet de conseil Deloitte estime que cette somme pourrait atteindre 1,7 milliard d’euros en 2015, si le programme actuel est maintenu en l’état. Riga ne semble en effet pas très regardant sur l’origine des fonds placés sur son territoire, puisque 98% des demandes formulées par les riches étrangers ont reçu l’aval des autorités officielles. Alma Shabalayeva, l’épouse de l’oligarque kazakh Moukhtar Abliazov – accusé par son pays d’avoir détourné 5 milliards de dollars avant de prendre la fuite – a ainsi résidé à Rome grâce à un permis de séjour letton.

Ce type d’incident n’a pas découragé d’autres pays européens de suivre le modèle balte. Depuis le 1er octobre dernier, les Pays-Bas ont décidé d’accorder automatiquement un permis de séjour aux personnes extérieures à l’Union européenne qui investiraient dans l’économie locale au moins 1,25 million d’euros. C’est à l’automne également que le parlement maltais a voté une loi permettant aux étrangers d’obtenir la nationalité de cet archipel de 420 000 habitants, pour la modique somme de… 650 000 euros par personne. La Valette s’est engagé à vérifier le sérieux des candidats à la naturalisation, pour s’assurer de ne pas confier le précieux sésame ouvrant la bien friable forteresse européenne à des criminels. Le gouvernement a choisi de confier cette tâche sensible à une entreprise privée, Henley & Partners, qui compte recevoir entre 200 et 300 demandes chaque année. Le Premier ministre travailliste, Joseph Muscat, espère que cette réforme rapportera chaque année 30 millions d’euros aux caisses publiques, ce qui correspond à 46 naturalisations par an. La Grèce, elle, n’a trouvé que vingt étrangers acceptant de payer plus de 250 000 euros une résidence sur son territoire, en échange d’un permis de séjour de cinq ans.

Visa gold au Portugal

Il faut dire que les étrangers ont désormais l’embarras du choix pour s’acheter un visa européen de très longue durée. En 2012, le Portugal a lancé son « visa gold » (sic). Ce permis de séjour de deux ans s’obtient après avoir investi au moins 500 000 euros dans la pierre. L’Espagne accorde un permis de séjour provisoire aux non-ressortissants qui achètent un bien immobilier de plus de 500 000 euros ou pour 2 millions d’euros de dette publique. Celui-ci peut devenir définitif si le bien n’est pas vendu dans un délai de cinq ans. Les Irlandais octroient un permis de séjour de cinq ans, contre un investissement d’au moins 500 000 euros dans le pays. Enfin, les Hongrois ont mis en place un modèle encore plus original. Leur « Residency Bond Program » est un permis de résidence « à vie » accordé aux familles qui achètent pour au moins 300 000 euros d’obligations d’Etat. Au bout de cinq ans, le gouvernement s’engage à leur rembourser 250 000 euros.

France : bientôt le passeport talents

En France, la carte de « résident pour contribution économique exceptionnelle » établie en 2008, n’a attiré que trois investisseurs. A 10 millions d’euros, le visa de quinze ans était cher payé ! Le futur « passeport talents » prévu pour 2015 devrait abaisser le seuil. Depuis Bruxelles, la Commission assiste, impuissante, à cette mise en vente de l’espace Schengen. « Les Etats membres ont la pleine souveraineté de décider comment et à qui ils accordent leur nationalité », explique le porte-parole de Cecilia Malm-ström, la commissaire chargée des Affaires intérieures. « La Cour de justice européenne a confirmé à plusieurs reprises ce principe de la législation internationale. Pour ce qui concerne les permis de résidence et les conditions d’entrée des investisseurs d’un pays tiers dans l’Union, la législation européenne n’a pas non plus été harmonisée. » A la grande satisfaction de Masha…

05/03/14, Frédéric Therin

Source : Les Echos.fr

 

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