vendredi 5 juillet 2024 00:31

picto infoCette revue de presse ne prétend pas à l'exhaustivité et ne reflète que des commentaires ou analyses parus dans la presse marocaine, internationale et autres publications, qui n'engagent en rien le CCME.

Rejet de l’étranger : Pourquoi ?

On nous parle d'enjeu politique, de contrer le Front National tout en appliquant ses rengaines, de respect de la vie des familles que l'on démantèle par l'expulsion, de "vocation à..." partir au diable. Paroles que tout cela. Au fond, tout au fond, de quoi s'agit-il vraiment?

Déjà le billet n°300 d'une série consacrée depuis novembre 2008 aux difficultés de la vie des étrangers - surtout les plus pauvres - désirant s'établir en France. Petit sondage dans la série; que relataient le numéro 100, le numéro 200? Est-ce que quelque chose a bougé? Qu'est-ce qui a changé?

Numéro 100. En août 2010, nous nous interrogions sur les résultats à attendre de la grève des travailleurs sans papiers pour leur régularisation, démarrée dix mois plus tôt: Les 6769 travailleurs étrangers grévistes seront-ils vraiment régularisés?. Cette grève a encore duré jusqu'en juin 2011, avec des résultats plutôt modestes au regard de la détermination des travailleurs et de leurs soutiens. Les régularisations obtenues par quelques milliers d'entre eux l'ont été au prix de batailles pied à pied avec les préfectures, dont certaines n'ont toujours pas abouti en mars 2014. Cependant, sur le fond, ce mouvement a permis d'amorcer une négociation sur les critères permettant de régulariser le séjour des travailleurs. Rappelons que ce mouvement est parti d'une innovation de la loi Hortefeux de novembre 2007, qui prévoyait pour la première fois ce motif de régularisation du séjour. Quelle était la motivation profonde de cette innovation? Soutenir la campagne de communication sur l'immigration "choisie"? Compter et localiser la population concernée, comme avec la circulaire Sarkozy de 2006 sur les familles?

La bataille pour des critères plus réalistes est toujours en cours, car les mesures prévues dans la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'Intérieur fixe des critères à la fois surréalistes et restrictifs: pour obtenir un titre de séjour de "salarié" et l'autorisation de travail qui va avec, il faut présenter... des fiches de paie! Donc avoir déjà un emploi déclaré. Le titre de séjour de salarié est lui-même très fragile et son renouvellement soumis à des conditions draconiennes. Et puis, ce prétendu assouplissementlaisse dans leur ombre les étrangers qui n'ont trouvé que du travail au noir. Nous laissons aux analystes de l'économie du pays le soin de préciser le rôle de cette main d'œuvre jetable.

Numéro 200. Nous sommes maintenant au début de l'été 2012 et le nouveau pouvoir nous parle de la recherche d'un équilibre, d'un apaisement de la politique de l'immigration. Mais la machine à expulser des gens qui ont commencé à construire leur vie en France fonctionne toujours très bien. Le cas de l'expulsion de ce jeune père de famille n'est pas isolé. Le RESF tient une Chronique de l'intolérable , où elle recense mois par mois la casse des familles, la casse de la vie de jeunes en formation, partout en France, la chasse aux familles déboutées de leur demande d'asile, alors que, malgré les annonces, la délivrance du titre de réfugié reste l'exception. Le ministère de l'Intérieur insiste d'ailleurs auprès des préfets pour qu'ils améliorent l'efficience de leurs décisions de rejet.

Il y a donc une implacable continuité de la politique migratoire, comme le constate le vaste collectif Uni-e-s contre l'immigration jetable (UCIJ) qui, à partir d'un bilan mitigé des batailles menées contre les conséquences de cette politique, invite à rebondir ensemble contre la précarité, pour le respect et l'égalité des droits.

Mais le pouvoir reste sur sa position barbare, à l'image du ministre de l'intérieur du moment, faisant le spectacle chez Mediapart. On peut parler de plan de carrière, de plan de communication, mais les thèmes choisis ne sont pas simplement opportunistes, ils remontent beaucoup plus loin.

Et, toujours chez Mediapart, mais du côté des abonnés, comment comprendre la disparité d'intérêt entre deux billets mis en une par la rédaction dans la même semaine? Le remarquable billetPatricia, 8 ans, arrêtée et expulsée, son cartable sur le dosrecueille 68 recommandations et 114 réactions indignées, tandis qu'un autre billet, Contrôles ciblés aux portes du Palais , tout aussi remarquable mais au ton plus mesuré, dénonçant des contrôles d'identité sur réquisition du Procureur de la république, effectués quasiment à la porte du tribunal administratif où les étrangers viennent tenter de faire valoir leur droit au séjour, doit se contenter de 4 recommandations et 3 messages.

Sans parler d'un blog consacré aux tribulations et persécutions sans fin des migrants du Calaisis, que son auteur semble avoir renoncé à alimenter faute d'intérêt visible; alors qu'il poursuit son projet sur d'autres fils?

Le GISTI publie un recueil d'articles sous le titre Mémoire des luttes de l’immigration en France. On y apprend que la revendication d'un statut juridique des migrants remonte aux années 1930, mais que le pouvoir s'est hâté de reprendre le contrôle en 1945 par deux ordonnances qui contournaient toute discussion parlementaire de ce statut. Les luttes ont repris dans le sillage du remue-société de 1968; elles n'ont pas cessé depuis, sans jamais obtenir un véritable changement de fond.

Pourquoi cette continuité? D'où vient cette organisation repoussante, aux deux sens du terme? Quel-le philosophe, quel-le anthropologue, quel-le ethnologue nous donnera à comprendre les vrais enjeux? Car, comme le dit Françoise Héritier (dans Une pensée en mouvement, Odile Jacob, 2009) "Je n'ai [ni] la prétention ni la naïveté de croire que l'anthropologie sert directement à changer les mentalités et à infléchir le cours des choses, (...) mais on peut au moins affirmer [qu'] est plus facile de lutter politiquement et avec des outils mieux adaptés, lorsqu'on a compris le fonctionnement des esprits, des lois et des institutions, ainsi que les ressorts profonds de nos comportements d'êtres sociaux".

14 MARS 2014, Martine et Jean-Claude Vernier

Source : mediapart

 

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