Chakib Bouallou est professeur au Centre efficacité énergétique des systèmes (CES) de mines Paris Tech. Son activité est dédiée à la décarbonisation des combustibles du futur pour, d’une part, minimiser les émissions en jouant sur les conditions à la source et, d’autre part, concevoir et développer des solutions technologiques permettant le captage et la valorisation du CO2 ou le stockage de l’énergie sous forme chimique.
Libé : Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs la problématique traitée par votre nouveau livre «Le stockage d’énergie» Conversion d’énergie en gaz combustible ?
Chakib Bouallou: Ce livre réunit les connaissances permettant de considérer le stockage et la valorisation des énergies renouvelables électriques. Il présente des informations techniques et économiques nécessaires pour acquérir une vision d’ensemble notamment en ce qui concerne la filière Power-to-gas et des marchés ou applications envisageables à moyen terme. Il s’adresse aux étudiants, chercheurs, ingénieurs et décideurs économiques qui souhaitent comprendre cette problématique pour assurer une meilleure transition énergétique.
Est-ce que le stockage et la conversion des excédents d’électricité renouvelable est possible aujourd’hui ?
Oui, justement le Power-to-gas est une solution envisageable à long terme permettant de convertir des excédents d’électricité décarbonée pour des quantités (dizaines de TWh) et des durées (plusieurs jours) importantes. Ainsi, l’injection d’hydrogène ou de méthane de synthèse dans les réseaux de gaz peut être une des voies de transition vers une économie décarbonée avant une hypothétique économie de l’hydrogène. Cette option trouve sa place dans les scénarios 2050 de transition énergétique intégrant une part importante d’énergies renouvelables.
Le Maroc a mis en place un projet très ambitieux pour produire de l’énergie solaire, comment peut-il stocker ses excédents de cette énergie?
Oui, il faut comparer les technologies de stockage et déterminer les plus pertinentes pour un usage particulier, plusieurs facteurs techniques doivent être pris en compte. En particulier pour le stockage stationnaire de l’électricité (capacité énergétique, puissance, durée de vie, efficacité, densité énergétique et coût d’investissement). Pour des temps de décharge à court et moyen termes couvrant de larges gammes de capacité énergétique allant jusqu’à 10 MWh, plusieurs technologies matures, en particulier les volants d’inertie et les batteries, peuvent être utilisées. Actuellement, les stations de transfert d’energie par pompage et l’air comprimé sont les seuls systèmes de stockage à large capacité (10MWh-100 GWh) pour des temps de décharge moyenne (des jours voire un mois), le perfectionnement de la compression d’air est attendu.
Pour un stockage à long terme et saisonnier des énergies renouvelables, les voies chimiques telles que l’hydrogène et le substitut de gaz naturel sont assez intéressantes. Ces gaz ont des capacités très importantes (GWh - TWh), avec un temps de décharge allant de quelques jours à plusieurs mois. Ils représentent donc la seule option envisageable pour le stockage saisonnier de l’énergie renouvelable avec une capacité de l’ordre de TWh et la reconversion en électricité en cas de besoin.
Est-ce que le Maroc possède l’infrastructure nécessaire pour la réalisation de ce genre d’opération ?
Les infrastructures de gaz sont nécessaires pour pratiquer l’effacement électrique à partir de technologies couplant gaz et électricité au niveau des consommateurs à l’échelle des réseaux de distribution. Pour l’instant, le Maroc ne dispose pas de ce type d’infrastructures.
Si le problème de stockage est résolu combien d’énergie peut-on économiser ?
C’est une question difficile, des périodes de surplus de production seront inévitables et pourraient représenter d’ici 2050 plus de 10% de la consommation annuelle d’électricité. Les moyens de stockage actuels ne permettent pas d’absorber ces surplus. Sans solution satisfaisante, ces surplus seront perdus par simple déconnexion de ces sources d’énergies du réseau électrique. De plus, tout dépend de l’efficacité, c'est-à-dire de la quantité d’énergie déstockée par rapport à celle stockée qui nous donne une indication sur les pertes, dans le système. Plus il y a de pertes plus le système consomme de l’électricité et par conséquent le coût de stockage augmente. Par exemple, si la génération de l’électricité coûte 0,38 €/kWh et que nous avons un système qui présente 20% de pertes, le coût effectif serait de 0,48 €/kWh.
25 Mai 2015, Youssef Lahlali
Source : Libération