Les médias ont-ils contribué à encourager les mouvements migratoires actuels ? C'est à cette question qu'ont tenté de répondre les intervenants lors d'un débat, samedi, au Salon du livre.
La crise des réfugiés, locale et mondiale, ses répercussions économiques et sociales, les limites de l'aide humanitaire, mais aussi le rôle des médias au niveau des migrations : c'est sur ce thème, d'une brûlante actualité, que s'est penchée samedi la table ronde intitulée « Migrations et médias. Le monde en mutation. Transmission en direct », qui s'est déroulée au Salon du livre, au Biel. Organisé par l'Association DES francophone de journalisme (Afej), l'événement a vu la participation de l'ancien ministre Michel Eddé, PDG de L'Orient-Le Jour, de la spécialiste de la migration, Najla Chahda, du directeur du bureau du quotidien Le Monde au Moyen-Orient, Benjamin Barthe, et de la présidente de l'Afej, Nidal Ayoub, en tant que modératrice.
Liban, pays d'accueil et d'émigration
Dans une évaluation du phénomène migratoire, de ses causes, de ses impacts sociaux, Michel Eddé constate que le Liban, pays à la fois d'accueil et d'émigration, est un « cas à part ». « C'est un pays pauvre et sa seule richesse est cet élément humain qu'il exporte », souligne-t-il. Mais en même temps, le pays du Cèdre, pays d'accueil, se distingue par « l'acceptation de l'autre », « la coexistence », « la convivialité », « l'hétérogénéité ». « Le Liban est un exemple par sa formule (même si en pratique les choses sont catastrophiques), alors que les pays occidentaux, devenus hétérogènes avec les flux migratoires, ne savent pas vivre avec l'islam, une religion aujourd'hui capitale dans le monde », observe l'ancien ministre, invitant à l'application de la formule libanaise dans le monde occidental.
« La migration est un phénomène indissociable de l'histoire du Liban », constate de son côté Najla Chahda. Elle explique que le pays du Cèdre est devenu depuis la fin de la guerre civile un pays d'immigration, avec l'afflux de travailleurs migrants d'abord, d'Asie, d'Afrique, de Syrie, de réfugiés de Syrie et d'Irak par la suite, que ces derniers fuient les conflits ou soient poussés par des raisons économiques. Et ce « en dépit du facteur de risque élevé dans le pays, mais aussi du fait que le Liban ne reconnaît pas le statut de réfugié car il n'est pas signataire de la Convention internationale sur les réfugiés, vu son expérience liée aux réfugiés palestiniens », souligne-t-elle. Une situation qu'il a réussi à contourner au terme « d'un accord » avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Le Liban est ainsi devenu le pays « accueillant le plus de réfugiés au monde », proportionnellement à sa superficie et sa population, note la spécialiste de la migration. Malgré l'absence de statistiques exactes, en raison du nombre élevé de travailleurs et de réfugiés en situation illégale, « les chiffres sont alarmants », affirme-t-elle, faisant état de « 2 millions de réfugiés syriens, de 600 000 Palestiniens et de 250 000 travailleurs migrants, tous dans une situation de grande précarité ».
Portant un regard journalistique occidental sur la question, Benjamin Barthe fait part de ses « observations sur les conditions d'existence des réfugiés au Liban », sur la réalité de leur exil, de leur « survie » dans des « camps informels », situés en bordure des routes, marqués par l'absence de services publics et les installations de fortune. « Un réfugié ne choisit pas délibérément le pays où il s'installe, note-t-il. Il est plutôt dans une démarche visant à sauver sa peau et choisit la destination qui présente le moins de risques, où il sera le plus proche de son pays, afin qu'il puisse rentrer chez lui dès que la situation s'apaise. »
« La situation a changé l'été dernier », relève le journaliste. Il relate alors la nouvelle vague de migration vers l'Europe et les raisons pour lesquelles les réfugiés, déjà installés dans un pays d'accueil, au Liban ou en Turquie notamment, « reprennent leur baluchon » pour le Vieux Continent. Et ce à l'heure où l'exode se poursuit parallèlement depuis une Syrie en guerre, d'Alep notamment, où « la vie est devenue impossible ». « L'espoir d'une issue rapide au conflit a disparu, vu l'exacerbation du conflit et sa violence, souligne M. Barthe. Ceux qui ont encore un peu d'argent ont décidé de ne plus perdre de temps et de donner le meilleur à leurs enfants, dans des pays comme l'Allemagne, l'Angleterre, la France... où ils peuvent trouver le bien-être et ne risquent pas d'être persécutés pour leurs idées », ajoute-t-il, notant que ces candidats à l'exil sont généralement diplômés, issus de la classe moyenne. « L'Europe qui observait s'est retrouvée au cœur de la scène », constate-t-il.
Médias et réseaux sociaux
Qu'en est-il donc de la couverture médiatique de ces migrations ? « Les médias occidentaux ne connaissent pas la situation et tiennent un double discours », affirme Michel Eddé. L'ancien ministre souligne à ce propos que « la couverture médiatique occidentale de la crise des réfugiés a entretenu la peur de l'autre ». Il estime que l'Europe qui souffre du vieillissement de sa population a pourtant « besoin de main-d'œuvre ».
« La question des réfugiés n'avait pas suscité d'intérêt particulier jusqu'à cette photo de l'enfant mort sur la plage qui a provoqué la révolte », tient à rappeler Najla Chahda. Et d'ajouter que cet intérêt coïncide avec « l'ampleur » qu'a atteinte la crise humanitaire. « En filmant les réfugiés dans leur parcours, les médias ont encouragé les réfugiés à prendre le chemin de l'Europe », dit-elle.
Une affirmation réfutée par Benjamin Barthes. « Je ne crois pas que les médias ont donné une image idyllique de la situation », explique le journaliste, appelant « à ne pas surévaluer l'impact des médias ». « L'impact le plus fort était immanquablement celui des réseaux sociaux », assure-t-il. Et d'expliquer comment les premiers migrants, munis de leurs téléphones portables connectés et de leurs chargeurs, ont transmis à leurs proches les informations sur les bonnes filières de passeurs.
Rony Araiji
Le débat est alors lancé, non seulement sur le rôle des médias dans le phénomène migratoire, mais aussi sur la gestion par la communauté internationale de l'aide humanitaire. Très applaudi, le constat du ministre de la Culture, Rony Araiji, met en valeur un fait en particulier : « Les Libanais ont vécu la guerre. Mais il n'y a jamais eu de camps de Libanais. » Il ne manque pas de dénoncer « l'injustice » dans la couverture occidentale de la crise des réfugiés. « Cette couverture met en exergue la situation précaire des réfugiés dans les camps, mais omet le pays hôte, le Liban plus particulièrement, submergé par le nombre de réfugiés, souligne M. Araiji. Le Liban ne fait que recevoir des leçons en termes de droits de l'homme. Il a pourtant le droit d'être aidé », martèle-t-il. Mais force est de constater « l'aide humanitaire insuffisante de la communauté internationale, la démission totale des pays arabes et le nombre élevé de réfugiés économiques qui profitent du système ». Une réalité consternante qui démontre fort bien la complexité de la crise migratoire.
02/11/2015, Anne-Marie El-HAGE
Source : lorientlejour.com