Toutes les cinq minutes, un Portugais fait ses valises pour quitter le pays. Malgré la timide reprise de l'économie, les candidats à l'exil sont toujours plus nombreux parmi les jeunes diplômés, dont des infirmiers, médecins, professeurs et ingénieurs.
Il y a 40 ans, ses grands-parents émigraient à Tours en France, où ils ont travaillé comme employée de maison et menuisier. Joana Miranda, une infirmière de 27 ans, s'apprête à s'installer, elle, en Allemagne, grâce à un emploi décroché dans une clinique à Munich.
Au Portugal, elle enchaînait des petits boulots dans des maisons de retraite. "Je gagnais 5 euros bruts de l'heure, sans contrat fixe, j'arrivais à 500 euros nets par mois. En Allemagne, j'aurai un emploi stable, avec 2.000 euros nets", raconte-t-elle.
Un tiers des 3.500 infirmiers formés chaque année dans les écoles portugaises émigrent, selon leur ordre professionnel. A part l'Allemagne, c'est surtout l'Angleterre qui les attire.
L'exode des Portugais s'est encore accéléré en 2013, quelque 128.000 habitants ont pris le large pour échapper à la crise. Entre 2011 et 2013, ils étaient plus de 300.000 à chercher leur salut à l'étranger.
Lors de la grande vague d'émigration des années 60, ils fuyaient la dictature de Salazar, la guerre coloniale et la misère. Aujourd'hui, les Portugais connaissent la démocratie, mais la pauvreté persiste.
"Cet exode inquiétant traduit un manque total de confiance des Portugais en l'avenir du pays", a commenté à l'AFP Maria Manuela Aguiar, ancienne secrétaire d'Etat à l'Emigration. Et la tendance n'est pas près de s'inverser: "je ne vois pas d'amélioration, l'hémorragie devrait se poursuivre en 2014 et 2015".
Joana Miranda figure parmi la dizaine de participants à un cours intensif d'allemand à l'institut Goethe de Lisbonne, qui a vu le nombre de ses élèves exploser pendant la crise. L'Allemagne a accueilli 12.000 Portugais depuis 2011, mais la langue est une barrière difficile à franchir.
Fuite des cerveaux
Expliquer les unités de mesure des perfusions, s'y retrouver dans les médicaments, s'adresser à un patient qui sort des soins intensifs ... pour l'instant, l'allemand des élèves est encore un peu hésitant.
Mais comme Joana, ils ont déjà tous un contrat de travail en poche et commenceront le 15 juillet dans une clinique spécialisée en cardiologie à Munich, qui leur finance des cours d'allemand.
Certaines, comme Maria Chaves, 29 ans, quittent un emploi stable. Elle gagnait 1.100 euros nets par mois dans un hôpital à Lisbonne. "Ici, nous n'avons pas d'avenir, pas de perspective d'avancement", explique la jeune infirmière. Son mari, un militaire, a démissionné pour la suivre.
Les conditions de travail à l'hôpital se sont dégradées au Portugal, sous l'effet des coupes dans les dépenses de santé prévues dans le programme de rigueur négocié en 2011 en échange d'un prêt international de 78 milliards d'euros.
"Ils exigent toujours plus, la pression est devenue trop grande", témoigne Dina Lopes, 31 ans, autre infirmière candidate au départ, qui cumule deux emplois et travaille 55 heures par semaine.
La cure d'austérité du Portugal a contribué à aggraver la récession et le chômage. Au printemps 2013, la croissance est revenue et l'emploi a commencé à remonter la pente. Mais 37,5% des moins de 25 ans n'ont toujours pas de travail.
Si la plupart des jeunes émigrés continuent à exercer les mêmes métiers que leurs grands-parents (construction, hôtellerie, ménage), environ 20% parmi eux sont des diplômés hautement qualifiés.
"Contrairement aux années 60, le Portugal est désormais confronté à une fuite des cerveaux. C'est dangereux, on a perdu ceux dont nous avons besoin pour faire redémarrer l'économie", constate Joao Peixoto, professeur de sociologie à l'université de Lisbonne.
Selon lui, il faudrait "tenter de faire revenir les jeunes diplômés dès que possible". Un retour au pays est-il envisageable? "L'Allemagne est un pays fantastique. J'y vais pour y rester", assure Maria Chaves.
30 juin 2014
Source : AFP