Le ministère chargé des Marocains résidant à l'étranger a organisé, mardi en fin d'après-midi à Nador, une journée pour rendre hommage à des femmes immigrées issues de la province, en reconnaissance de "leur contribution dans la dynamique de développement que connaît le Royaume".
Cette journée, qui s'inscrit dans le cadre des activités du ministère pour la célébration de la Journée mondiale de la femme, a été l'occasion de mettre en valeur les compétences et les sacrifices des Marocaines du monde pour l'affirmation de soi en faveur d'une intégration porteuse sur les différents plans.
A cette occasion, un hommage a été rendu à des femmes immigrées de différents horizons issues de la province ayant marqué par leur action et leur engagement leurs domaines de travail respectifs.
Intervenant lors de cette rencontre, organisée en collaboration avec la province de Nador et le ministère de la Culture, le ministre chargé des Marocains résidant à l'étranger, Abdellatif Maâzouz, a rappelé les actions entreprises par le Royaume, sous la conduite éclairée de SM le Roi Mohammed VI, pour la promotion de la situation de la femme à travers l'approbation d'une série de conventions internationales et l'adoption du Code de la famille.
Après avoir relevé que les femmes représentent aujourd'hui 48 pour cent de l'ensemble de la communauté marocaine établie à l'étranger, M. Maazouz a indiqué que si une large frange des Marocaines du monde a réussi une "intégration positive" dans les pays d'accueil et s'est imposée dans différents domaines, d'autres sont toujours confrontées à des difficultés d'ordre social et à la précarité économique.
Dans ce cadre, le ministère Âœuvre pour l'élaboration d'une série de mesures pour améliorer la situation de ces femmes immigrées, a-t-il précisé, faisant état de la mise en place de programmes de sensibilisation des femmes à leurs droits, le renforcement des compétences des acteurs institutionnels et de la société civile concernés par la question de la femme immigrée et le développement de la contribution de cette dernière à la dynamique de développement.
Ces mesures comprennent également l'adoption d'une stratégie basée sur l'approche genre social et les droits des immigrées marocaines dans le but d'intégrer cette approche dans tous les programmes et les projets du ministère, tout en travaillant sur le lancement de programmes spécifiques pour accroître les capacités d'intégration des femmes dans les pays d'accueil et le renforcement de leurs liens avec le pays d'origine, a-t-il noté.
M. Maazouz a, en outre, relevé que le ministère s'emploie, en partenariat avec les institutions financières concernées, à obtenir la réduction des coût des transferts des Marocains résidant à l'étranger, l'extension du réseau de ces institutions et leur implantation dans les régions enclavées afin de faciliter l'envoi de ces fonds à leurs familles.
Ces mesures sont une contribution à la préservation des droits des femmes marocaines immigrées, à la défense de leurs intérêts et au renforcement de leurs capacités à travers un accompagnement et un suivi dans les domaines sociaux, culturels et juridiques, a-t-il soutenu.
27 mars 2012
Source : MAP
Le Premier ministre Elio Di Rupo a tenu à rappeler mercredi que "la plus grande fermeté est de mise pour les délinquants ou malfaiteurs en séjour illégal qui n'ont pas leur place en Belgique".
Une polémique a surgi après l'intervention d'une sénatrice PS, Fatiha Saïdi, lors d'une tentative d'expulsion d'un ressortissant marocain en situation irrégulière sur le territoire. Le quotidien Het Laatste Nieuws révélait mercredi que ce ressortissant, Mohammed C., a déjà fait l'objet de 42 interpellations pour des faits graves depuis 1996. Dans un communiqué, le Premier ministre rappelle les termes très clairs de l'accord de gouvernement relatifs à l'éloignement des personnes en séjour illégal. Toute personne qui ne dispose pas de titre de séjour et n'a pas la possibilité d'en obtenir un doit recevoir un ordre de quitter le territoire. Cette personne doit être éloignée, dans le respect des droits de la personne concernée et dans des conditions de sécurité appropriées. Selon l'accord de gouvernement, la priorité est au retour volontaire. Si ce retour volontaire ne s'avère pas possible, le retour forcé est alors mis en oeuvre, précise le Premier ministre. Il ajoute que, "le droit à l'asile doit évidemment être garanti, ce qui est le cas dans notre pays. La Belgique respecte ses obligations internationales et offre l'asile aux personnes qui font l'objet de persécutions personnelles dans leur pays". En revanche, conclut Elio Di Rupo, "la plus grande fermeté est de mise pour les délinquants ou malfaiteurs en séjour illégal, qui n'ont pas leur place en Belgique".
28 mars 2012
Source : LeVif/Belga
Projeté dans le cadre du Festival International des Films de Femmes qui se tient à la Maison des Arts de Créteil du 30 avril au 8 avril, ce documentaire intitulé « Notre école » réalisé par deux réalisatrices roumaines suit trois enfants roms qui participent à un projet d’intégration scolaire dans une petite ville de Transylvanie et se heurtent aux préjugés.
Quel droit à l’éducation pour les enfants roms ?
Au sein de la Communauté européenne, les enfants de la communauté rom se heurtent à d’importants obstacles dans le domaine de l’enseignement. Pourtant, selon les textes de droit international et européen, les états ont l’obligation de veiller au respect du droit à l’éducation des enfants et doivent interdire toute forme de discrimination.
Cette ségrégation amène des milliers d’élèves roms à recevoir un enseignement au rabais dans des écoles ou classes « spéciales » destinées aux élèves présentant des « handicaps mentaux légers » ou, dans des écoles ou classes pratiquant une ségrégation ethnique au sein même du système scolaire classique notamment en Slovaquie et en Roumanie.
Ce phénomène de rejet institutionnalisé contraint les roms à vivre au ban de la société, le plus souvent dans des quartiers insalubres ou ils ne bénéficient d’aucun accès à l’eau, à l’électricité, ou aux soins. Ces conditions aggravent les difficultés d’accès à l’éducation pour les enfants roms.
Les gouvernements des pays concernés doivent prendre conscience qu’il est essentiel d’améliorer l’accès des Roms à l’éducation pour briser le cycle de la pauvreté dans lequel tant d’entre eux sont enfermés.
En Roumanie et en Bulgarie, 15 % des enfants roms n’intègrent jamais le système éducatif et le taux d’abandon scolaire des Roms est quatre à six fois supérieur à la moyenne nationale.
Source : Amnesty.fr
L’UE27 a enregistré 257 800 demandeurs d’asile1 en 2010, soit 515 demandeurs par million d’habitants. Il est estimé qu'environ 90% d'entre eux étaient de nouveaux demandeurs tandis qu'environ 10% réitéraient leur demande2. En 2009, 264 000 demandeurs d'asile avaient été enregistrés...Suite
Le dossier du XXIème rapport sur l’immigration (Caritas/Migrantes, 2011) en Italie, présente un panorama global de ce que l'on pourrait définir aujourd’hui comme « un pays de migrants », explique, dans cet article, Igiea Lanza di Scalea, chercheuse en criminologie en Calabre, et engagée dans la collecte de livres pour les prisonniers à Rome.
Il y a en effet plus de 4, 5 millions de résidents étrangers en Italie, dont environ un million de mineurs. En moyenne, on compte un étranger pour 12 résidents ; en tout, 1/8e sont de la seconde génération : des Italiens de fait mais non de droit, nés en Italie et malgré cela « différents » parce qu’enfants d’immigrés.
L’étranger peut être considéré comme le symbole le plus représentatif de l’éclatement social, qui se reflète dans la difficulté à accepter et à construire des formes sociales différentes et néanmoins partagées. Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité, affirme l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et pourtant, l’étranger, en étant porteur de valeurs, d’usages, de coutumes « différentes », engendre des distances morales, sociales et surtout culturelles.
Rapidement « étiqueté » déviant, l’étranger est – littéralement – « celui qui prend un autre chemin » quant à la représentation sociale partagée. La personne différente provoque de la crainte, une tension, une distance, ou une agressivité « défensive ».
Dans ce sens, le British Council, en analysant un échantillon de 3500 jeunes d’âge scolaire (de neuf pays européens), a montré que les étrangers ont 30% de probabilité en plus de subir des agressions (13% contre 9%) et de faire l’objet de moqueries (24% contre 16% pour les autochtones).
Une étude récente sur la perception du préjugé envers les étrangers, de la chaire de méthodologie et technique de la recherche sociale, de l’université La Sapienza de Rome, menée en 2011 dans le contexte spécifique des résidences universitaires, a mis en lumière la tendance des Italiens à privilégier, en général, les relations avec leurs compatriotes, générant ainsi le fameux phénomène de l’ « homophilie nationale ».
En ce sens, selon la littérature dominante, nos compatriotes italiens souffriraient du « syndrome de l’agression », manifeste dans le renforcement des dynamiques in-group vs out-group, pour la « sauvegarde » de leurs frontières identitaires.
Le prae-iudicium est une pensée simple: il surgit à la maison, à l’école, au bureau, dans les cantines des entreprises. C’est un préjugé que de refuser un sourire, de détourner son regard ou, pire encore, de ne pas serrer la main de celui qui vous la tend.
De plus, contrairement à l’opinion commune qui situe l’étranger « au centre » de l’action criminelle italienne, le dossier sur l’immigration Caritas/Migrantes note que le « taux de criminalité » des immigrés réguliers en Italie est « seulement légèrement plus élevé que celui des Italiens » (entre 1,23% et 1,40% contre 0,75%).
Le rapport met aussi en évidence la fonction complémentaire des travailleurs immigrés qui permet de favoriser de meilleures opportunités de travail pour les Italiens : c’est pour cette raison que, si ces travailleurs immigrés venaient à manquer dans les secteurs de productions considérés comme « non attractifs » par les Italiens (l’agriculture, l’industrie, le bâtiment etc.), le pays serait dans l’impossibilité d’affronter son avenir.
Malgré cela, il semblerait que la société refuse a priori toute diversité, la considérant comme la cause de maux inexistants. La diversité est dynamique, évolutive et elle pousse à s’améliorer : l’homogénéité est statique et régressive. La diversité est éducative : docet et discet (qui enseigne apprend, ndlr) afin d’ex-ducere (é-duquer, ndlr), de « tirer à l’extérieur » ce qui est dans la personne, en mettant en valeur ses potentialités.
« Erfahrung », expérience, « Verständnis », compréhension, « Mitgefühl », compassion, concepts-clés de l’historicisme contemporain allemand (Dilthey), enseignent à re-vivre et à re-construire le soi dans l’autre, dans cet « être égaux et différents » à l’intérieur d’un système inclusif et pluraliste.
« La dignité de toute personne humaine ne peut faire l’objet a priori de préjudices et de discriminations », a rappelé Mgr Mariano Crociata, à l’occasion de la présentation du communiqué final du Conseil permanent des évêques italiens. Malgré cela, l’étranger est actuellement perçu par la plupart comme un « envahisseur », un ennemi, ou pire, un criminel tout simplement.
27 mars 2012 , Traduction d’Hélène Ginabat
Source : Zenit
La Commission nationale consultative des droits de l'homme a rendu son rapport annuel sur les actes racistes. S'ils ont diminué en 2011, l'intolérance de la société française, elle, s'accentue.
Par SYLVAIN MOUILLARD
Les «événements» de Toulouse sont bien entendu dans tous les esprits. Mais, pour la remise de son rapport annuel (le lire en intégralité ici), la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) n'a évoqué que l'année 2011. Principal objet de ses recherches : les actes racistes, antisémites et xénophobes commis en France l'an passé. L'autre volet du rapport est une étude d'opinion (1) sur la tolérance des Français. Et les résultats sont ambivalents. En 2011, le nombre d'actes et de menaces racistes est en recul. La CNCDH en a comptabilisé 1 254, soit une baisse de 7% par rapport à 2010.
Mais le sentiment raciste, lui, progresse. Quelque 48% des sondés estiment par exemple que l'immigration est la principale cause de l'insécurité (+4 points par rapport à 2010). Globalement, ce sont les Maghrébins et les musulmans qui cristallisent le ressentiment. Yves-Marie Cann, de l'institut CSA, qui a réalisé l'étude d'opinion, s'avoue désarmé quand il s'agit d'expliquer ces phénomènes concomitants et apparemment contradictoires. Il esquisse une première analyse : «Peut-être que la moindre présence des actes racistes dans le champ médiatique incite à une libération de la parole raciste», juge-t-il.
Voici les principales conclusions de l'enquête.
Les actes et menaces à caractère raciste : en recul, sauf pour les atteintes à l'islam
«Il n'y a pas eu d'événement très grave en 2011», note Marc Leyenberger, de la CNCDH. «On observe une diminution des actes racistes (-2,4%) et antisémites (-16,5%) par rapport à l'année précédente.» Ceux-ci se concentrent principalement dans trois régions : l'Ile-de-France, Paca, et Rhônes-Alpes. Principales satisfactions : le recul des actes antisémites, qui atteignaient il y a quelques années encore des «niveaux graves», et la baisse des menaces en milieu scolaire (-48%). Marc Leyenberger salue en particulier l'action du ministère de l'Education nationale.
Mais il ne peut que déchanter devant les chiffres des atteintes aux personnes en raison de leur confession musulmane. En 2011, ils ont augmenté de 33,6%. 38 actes et 117 menaces ont été recensés. «La figure de l'étranger et du musulman vient cristalliser un certain nombre de craintes, explique-t-il. C'est là que s'articule le lien entre immigration et insécurité.» La CNCDH invite toutefois à regarder ce phénomène avec prudence, notant «l'amélioration du recensement des actes commis», ce qui peut expliquer leur nette augmentation.
La tolérance de la société française : «L'ambiance n'est pas bonne»
Même si le niveau de tolérance reste globalement élevé en France, l'évolution au cours des deux dernières années est négative. «On assistait depuis 2005 à un recul des préjugés. La tendance s'est inversée en 2010, remarque Marc Leyenberger. On avait expliqué ce phénomène par la crise économique, le chômage... des facteurs qui ont tendance à favoriser un racisme de protection contre une menace supposée venant de l'extérieur.» L'argument économique ne suffit plus. Pour Leyenberger, l'accumulation d'événements tels que les révolutions arabes, le discours de Grenoble, les débats sur le voile intégral ou les prières de rue, voire le travail de dédiabolisation du FN entamé par Marine Le Pen, peuvent permettre de comprendre cette montée de l'intolérance.
Certains chiffres sont édifiants. Ainsi, 7% des sondés s'assument «plutôt racistes» (une hausse de 3 points en quelques mois). La vision de la société française est aussi de plus en plus atomisée. Pour 77% des sondés, les Roms sont «un groupe à part». La proportion est de 51% pour les musulmans, 40% pour les Maghrébins, 38% pour les Asiatiques. 31% des sondés jugent que «les enfants d'immigrés nés en France ne sont pas vraiment français». L'idée selon laquelle «de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale» est largement ancrée (70%). Enfin, 55% des sondés seraient prêts à paraphraser Claude Guéant, estimant «qu'aujourd'hui, en France, on ne se sent plus chez soi comme avant».
Cette série d'indicateurs inquiète la CNCDH, qui ne manque pas de pointer du doigt «l'impact que peuvent avoir certains discours politiques ou certains débats nationaux sur l'attitude de quelques-uns de nos concitoyens».
27/3/2012
Source : Libération
Un documentaire suisse, dérangeant mais éclairant, suit des clandestins attendant leur expulsion à Genève.
De ce film très fort naît une sensation persistante de malaise, renforcée par l’attitude volontairement « objective » du cinéaste.
En 2008, Fernand Melgar avait reçu le Léopard d’or au Festival de Locarno pour son précédent documentaire, La Forteresse, qui s’intéressait aux conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Suisse (1). Recevant pour la première fois l’autorisation de filmer l’intérieur d’un centre de rétention, il s’immerge cette fois dans l’établissement « vitrine » de Frambois, à Genève, où les demandeurs déboutés peuvent être détenus jusqu’à dix-huit mois – vingt-quatre il y a encore peu – avant d’être expulsés.
D’un côté, une vingtaine d’hommes emprisonnés, dans l’attente, à moins d’un miracle, de l’annonce du vol retour : vol régulier ou « vol spécial » pour les récalcitrants qui, comme en France, peuvent être ligotés. De l’autre, un personnel soucieux du bien-être des « pensionnaires », attentif à ce que tout se passe dans le calme, nouant avec les malheureux une relation qui se veut très humaine. Jusqu’au jour J.
Un cinéaste «engagé mais non militant»
De ce film très fort naît une sensation persistante de malaise, renforcée par l’attitude volontairement « objective » du cinéaste. Nul ne songerait à déplorer que ces hommes – qui ont tout de même la sensation qu’on les prend pour des criminels – soient mieux traités qu’ailleurs. Si rien n’autorise à dire qu’elle est feinte, l’extrême prévenance du personnel d’encadrement, mélange de politesse, de connivence et de paternalisme, devient pourtant rapidement insupportable. Tout à fait révoltante lorsqu’elle s’applique à planifier les départs, vécus comme autant d’arrêts de mort.
À cette « bienveillance » répondent heureusement quelques saines colères de détenus, pas dupes de cet « humanisme » à portée limitée. Tous ont accepté d’être filmés, y compris dans ces moments très difficiles, pour témoigner de leur situation. On aurait toutefois aimé, à un moment ou à un autre, recevoir plus directement leur parole.
Fernand Melgar qui se définit comme un cinéaste « engagé mais non militant », préfère – au risque de déstabiliser – renvoyer le spectateur à sa propre échelle de valeurs plutôt que de lui servir une indignation prémâchée. Récemment diffusé à la télévision, le film a provoqué dans la Confédération un très large débat public.
(1) Le film sort dans les salles françaises en même temps que « Vol spécial ».
27/3/2012, ARNAUD SCHWARTZ
Source : La Croix
Depuis les drames de Montauban et de Toulouse, les politiques multiplient les acrobaties de langage. Le chercheur François Héran nous fournit les sous-titres.
La série commence à devenir impressionnante. En moins d'une semaine, l'éditorialiste du Figaro parle de « parachutistes d'origine musulmane » ; le ministre de l'Intérieur s'associe à la peine de la « com’munauté israélienne de France » ; le président de la République invente les « musulmans d'apparence » ; la première secrétaire du PS distingue les « femmes d'origine maghrébine » et « les Françaises ».
Lapsus ou formules malheureuses, ces phrases trahissent une vraie difficulté à désigner l'appartenance religieuse ou l'origine ethnique des gens.
Qu'est-ce qui pousse des responsables politiques et des commentateurs à s'embarquer dans des formules confuses ?
Pour François Héran, directeur de recherche à l'Institut national des études démographiques (Ined), c'est la peur :
« Une partie du problème vient du fait que, quelles que soient les formules utilisées, on est sûr d'être pris pour cible, accusé par les uns d'être hypocrite et aveugle, par les autres de porter atteinte à l'unité de la République. »
Il décrit ainsi l'embarras dans lequel se trouve quiconque veut désigner certaines catégories de personnes en fonction de leurs origines ou leur religion (et même leur apparence physique) :
« Si vous utilisez des termes directs et que ces termes ont pris historiquement des connotations négatives, il se trouvera toujours des journalistes, des politiques ou des associations pour vous le reprocher et vous accuser de donner dans la discrimination.
Mais si vous utilisez en revanche des termes voilés ou des circonlocutions, il se trouvera encore des journalistes, des politiques ou des associations pour vous le reprocher ! Et vous serez vite accusé de verser dans le déni de réalité. »
La recherche d'un entre-deux aboutit aussi à des solutions maladroites. Elles évitent les mots qui brûlent la langue : « juif », « immigré », « arabe ». Et en utilisent d'autres à tort et à travers : « communauté », « musulman »...
Nous avons demandé à François Héran d'analyser les trois exemples qui nous ont sauté aux oreilles ces derniers jours.
1- Guéant et la « communauté israélienne de France »
Claude Guéant, le 26 mars, devant la Grande synagogue de la Victoire à Paris :
« Je suis venu m'associer à la peine qu'éprouve toute la communauté israélienne de France, une peine qui est partagée par tous les Français que je représente ce soir. »
L'analyse de François Héran :
« Je crois qu'il a simplement confondu “israélien” et “israélite”. Mais il a aussi oublié, ce faisant, que le mot “israélite” est tombé en discrédit, parce qu'il a été abondamment utilisé sous Vichy. C'est un manque de culture historique.
Le problème est qu'on ne sait plus bien quoi dire. Prenez une expression comme “la communauté juive”. Elle sert à atténuer l'expression “les juifs”, qui, utilisée seule, est perçue comme violente, trop essentialiste, trop marquée. Si vous dites “les juifs de France”, cela passe déjà mieux que “les juifs” tout court.
L'historien Pierre Birnbaum, qui a publié plusieurs livres remarquables sur l'antisémitisme, a critiqué l'usage de l'expression “la communauté juive” au motif qu'elle fleure le communautarisme.
Sur ce point précis, je ne le suis pas. Le mot “communauté” remplit simplement une fonction d'atténuation. Quand vous dites “la colonie française de Mexico” pour désigner les expatriés français du Mexique, ça n'a rien de colonialiste. »
2- Sarkozy et les « musulmans d'apparence »
Nicolas Sarkozy, le 26 mars sur France Info :
« Je rappelle que deux de nos soldats étaient – comment dire ? – musulmans, en tout cas d'apparence, puisque l'un était catholique. D'apparence... Comme on dit : de la diversité visible. »
L'analyse de François Héran :
« C'est un cas de figure intéressant, celui d'une discordance entre l'apparence physique et la réalité administrative ou sociale : vous portez un nom et un patronyme arabes ou bien vous avez une apparence physique qui trahit vos origines mais, voilà, vous êtes catholique. Notre sens commun, qui mise sur la cohérence, est déconcerté.
Un exemple classique est celui des Antillais descendants d'esclaves. Ils ont beau être français depuis des siècles, ils sont souvent pris pour des immigrés récents d'Afrique noire et sont exposés aux mêmes discriminations raciales (comme l'a confirmé récemment l'enquête TeO de l'Ined et de l'Insee).
Cette discordance entre le visible et l'invisible a toujours posé des problèmes. On trouve encore aux Antilles des proverbes soulignant qu'un attribut peut modifier l'autre en cas de discordance. Par exemple, “Un noir riche est un mulâtre” – sous-entendu : il progresse dans l'échelle du “blanchiment” social grâce à sa richesse. »
3- Aubry et les « femmes d'origine maghrébine »
Martine Aubry, le 27 mars sur France Inter :
« Il y a des femmes d'origine maghrébine, je sais pas pourquoi on dit musulmanes [...]. Dans ce quartier, il y a des personnes d'origine maghrébine, comme il y a des Françaises. »
L'analyse de François Héran :
« Martine Aubry semble exclure ces femmes de la communauté nationale. Mais beaucoup de gens ont du mal à comprendre qu'on puisse être à la fois immigré et français. Pourtant, plus de 40% des immigrés ont acquis la nationalité française, toutes générations confondues.
En disant “femmes d'origine maghrébine”, elle évite les termes “Arabes” et “immigrées”.
Mais il faut savoir que la majorité des immigrés ressent aujourd'hui très mal l'expression “les immigrés”. On les comprend : neuf fois sur dix, dans le débat public, le mot est utilisé de façon péjorative ou dans un contexte accusateur.
De plus, “immigré” donne le sentiment qu'on enferme quelqu'un à vie dans son passé, même s'il acquiert la nationalité française par la suite.
Dans les enquêtes que nous menons à l'Ined, nous n'utilisons jamais le mot “immigré”, tant il est chargé.
Nous ne demandons pas à quelqu'un s'il est “immigré” ; nous lui posons des questions sur sa trajectoire personnelle ou familiale en utilisant les pays de naissance et les nationalités et nous en déduisons ensuite s'il est “immigré” ou non, au sens technique du terme. »
4- Comment devenir « color-blind » ?
François Héran pense que « le “color-blind” (ou le “religion-blind”), c'est-à-dire le refus de voir la couleur, l'origine, voire la religion, alors même qu'elles sont visibles » est « une ascèse à construire ».
Mais en attendant ? Faut-il privilégier le tact ? Ou refuser la police des mots et distribuer des étiquettes sans se soucier des réactions des intéressés ?
Pour le chercheur, tout dépend du contexte. « Trouver la bonne formule ne sera jamais facile. C'est précisément pour cela que nos hommes politiques se mélangent les pinceaux dès qu'ils improvisent sur ces questions. Ils manquent d'“éléments de langage”, parce que ces éléments n'existent pas tout fait. »
27/3/2012, Mathieu Deslandes
Source ; Rue89/Nouvel Observateur
Zine-Eddine Mjati s’est aguerri en politique dans les rangs de la Jeunesse de l’USFP où il a fait ses premiers pas jusqu’à l’âge de 21 ans avant de s‘exiler en France pour y militer toujours le cœur à gauche. Aujourd’hui, à 46 ans, si son cœur n’a pas viré de bord, il aura, tout de même, attiré par quelques sirènes vertes, botté en touche, chemin faisant, ces bons vieux Marx et Lénine, pour se consacrer bec et ongles aux causes écolos.
L'exclusion des Français d'origine non européenne des responsabilités publiques constitue l'une des ségrégations les plus importantes à l'œuvre dans la société française. Parce que d'origine maghrébine, arabe, turque, africaine ou asiatique, les représentations sociales et politiques en font des étrangers. Leur condition politique ainsi infériorisée, par rapport aux autres Français, le champ politique et l'espace public en général leur sont bien moins ouverts.
Des milliers d'habitants de la ville de M'diq et des environs, ont tenu à accompagner, dimanche en début d'après-midi, la dépouille du soldat franco-marocain lmad Ben Ziaten jusqu'à sa dernière demeure, dans une ambiance de piété et de recueillement et en présence de délégations de haut rang marocaine et française...Suite
Deux auteurs, deux voix, deux hommes de lettres se réunissent pour l'amour de la poésie lors des jeudis de I'IMA le 29 mars. Le premier est marocain, le second libanais. Éclairage sur cette union sacrée...Suite
Le Maroc a besoin des compétences des Marocains résidents à l'étranger; mais attention ce n'est pas pour autant une garantie pour chacun d'eux de trouver un job sur mesure une fois revenu au pays…Suite
"Changements climatiques : Trinidad est-elle en train de couler?" est le titre du nouvel ouvrage publié par le géographe Abderrahman ELFouladi, un maroco-canadien passionné de la climatologie et du système d'information géographique.
Ce livre-album (264 pages) comprend une large palette de photos, de dessins assortis de légendes, d'illustrations et de textes, qui aident à la compréhension de "ce qui se passe autour de cette île des Caraïbes", partant du fait que "depuis 1990, les signes avant-coureurs d'une hausse généralisée du niveau moyen de la mer se multiplient à Trinidad, laissant supposer que cette île serait déjà en train de subir les impacts du réchauffement global de la planète, comme l'ont affirmé certains chercheurs", écrit l'auteur-journaliste établi à Montréal.
"Afin de comprendre ce qui se passe autour de cette île des Caraïbes, nous avons mis à contribution deux dynamiques : la dynamique continentale (mouvements verticaux de la croûte terrestre) et la dynamique océanique (variabilité du volume de la mer)", explique M. El Fouladi, soulignant que "des mesures in situ (Profils de plages, mesures marégraphiques, salinité des aquifères ), une analyse des séismes par rapport aux volumes de pétrole extraits dans la région, ainsi que des simulations de deux modèles de circulation générale couplés (MCGC/AO) ont montré que la dynamique continentale l'emporte sur la dynamique océanique dans la hausse du niveau de la mer observée le long de la cô te de l'île".
Dans cet ouvrage, Dr. Abderrahman El Fouladi, par ailleurs directeur du magazine mensuel Maghreb Canada Express, publié à Montréal, estime que "Trinidad serait donc davantage victime de l'exploitation intensive du pétrole et du gaz dans la région que de la hausse du niveau de la mer due aux changements climatiques".
Abderrahmane El Fouladi est géographe (Ph.D. en climatologie, M.Sc en SIG et B.Sc. en environnement). Topographe puis cartographe au Maroc, il s'installe, à partir de 1991, au Canada et poursuit sa carrière en tant que consultant en changements climatiques, notamment en impacts de la hausse future du niveau moyen de la mer sur les installations côtières.
27 mars 2012
Source : MAP
Une dizaine d'ONG de "défense des droits humains" demandent à l'Otan de fournir une "réponse claire" sur les décès d'une soixantaine de migrants fuyant la Libye fin mars 2011 à bord d'une embarcation en Méditerranée, ont-elles annoncé lundi dans un communiqué publié à Paris.
L'OTAN et ses í‰tats membres "devraient fournir des informations permettant de mieux comprendre la chaîne des événements qui ont conduit à la mort de 63 migrants à bord d'une embarcation en Méditerranée", selon ces associations qui ont adressé lundi des lettres communes à l'organisation militaire et à certains de ses í‰tats membres.
"Les tragiques pertes en vies humaines en Méditerranée au cours de l'année 2011 --le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés estime qu'au moins 1.500 personnes ont péri l'année dernière en tentant d'effectuer la traversée-- exigent des efforts concertés pour enquêter et pour empêcher que de telles tragédies ne se reproduisent à l'avenir", soulignent le signataires.
Ces organisations sont Human Rights Watch, la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH), le réseau euro-africain Migreurop, le Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme (REMDH), la coalition Boats 4 People et le Groupe français d'information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti).
Elles réclament des "éclaircissements à propos de la présence et de la capacité dont disposaient l'OTAN et ses í‰tats membres dans la zone maritime concernée lorsqu'est survenu ce dramatique épisode".
L'incident concerne, selon elles, un "bateau en détresse" rempli de migrants fuyant la Libye, laissé à la dérive pendant deux semaines en Méditerranée avant qu'il n'accoste de nouveau en Libye le 10 avril 2011. "L'embarcation, assurent les ONG, a rencontré des difficultés peu de temps après avoir quitté Tripoli dans la nuit du 26 au 27 mars 2011. En dépit des appels de détresse et du fait que des rescapés aient aperçu un hélicoptère militaire et un navire de guerre, le bateau n'a pas reçu d'aide, en conséquence de quoi 63 de ses 72 passagers ont péri, dont 20 femmes et deux bébés."
26 mars 2012
Source :AFP
Taux de fécondité parmi les plus bas du monde, âge moyen parmi les plus élevés: la démographie est la bombe à retardement du "miracle allemand" avec une main-d'oeuvre qui vieillit et décroît rapidement.
Actuellement vivent près de 50 millions de personnes en âge de travailler (entre 20 et 65 ans) en Allemagne. En 2060, elles ne devraient plus être que 36 millions, selon les prévisions de l'Office fédéral des statistiques.
"La baisse du nombre d'actifs va affaiblir le potentiel de croissance de l'économie allemande à long terme", prévient Arnauld Lechevalier, chercheur du Centre Marc Bloch à Berlin.
"Il ne devrait plus tourner qu'autour de 1,2% par an, contre 1,5% en 2000", prédit de son côté Stefan Kooths, chercheur de l'un des six grands instituts économiques allemands, IFW de Kiel, même si, ajoute-t-il, pour l'instant, les effets néfastes de la démographie sont contrebalancés par le fait que de plus en plus de femmes et de seniors travaillent.
"Et le nombre grandissant de personnes âgées à la retraite va peser sur les finances publiques", continue M. Kooths.
"Depuis près de 40 ans, il ne naît plus qu'1,4 enfant par femme en Allemagne. Par conséquent, sans immigration, une génération n'est remplacée qu'aux deux tiers", constate Erika Schulz, chercheuse de l'institut de recherche économique allemand DIW.
Avant la chute du mur, la RDA affichait un taux de fécondité légèrement meilleur que sa rivale de l'Ouest: entre 1,7 et 1,8 enfant par femme. "Le régime communiste encourageait la natalité par toute une série de mesures privilégiant les familles. Ainsi un ménage obtenait plus facilement un appartement s'il avait un enfant", raconte Mme Schulz.
Les deux années suivant la réunification de 1990, le taux de fécondité a brutalement chuté à l'est, plafonnant à 0,9 enfant par femme, reflet des craintes d'un avenir sombre d'une population tout à coup confrontée à la perte d'emplois. Puis ce dernier est remonté, aboutissant à un chiffre pratiquement semblable dans les deux Allemagne.
"Depuis les années 1970, de plus en plus de femmes renoncent à être mère en Allemagne", remarque Bettina Sommer, de l'Office fédéral des statistiques. En 2008, seules 11% des femmes de plus de 60 ans n'avaient pas d'enfants, mais parmi celles âgées de 40 à 44 ans, elles étaient pratiquement le double: 21%.
Parmi les raisons invoquées pour expliquer cette situation: la faiblesse des infrastructures de garde dans l'ouest du pays, avec des crèches en nombre insuffisant et beaucoup d'écoles fermant dès le début de l'après-midi.
A cause du solde naturel (différence entre naissances et décès) négatif, la population allemande décroît depuis 2003, à l'exception notable de 2011 où elle a crû à 81,8 millions d'habitants grâce à un bond de l'immigration.
Selon l'Office des statistiques, avec une fécondité stagnante, l'Allemagne, juqu'ici le pays le plus peuplé d'Europe, devrait continuer de se vider d'ici à 2060 pour ne plus compter qu'entre 65 et 70 millions d'habitants.
"Le plus difficile à prévoir, c'est l'immigration", estime Mme Schulz. Le solde migratoire (différence entre entrées et sorties), qui est actuellement positif et devrait le rester, tourne autour de 100.000 et 200.000 personnes par an.
Avec une espérance de vie en constante augmentation grâce aux progrès de la médecine, la proportion du nombre de personnes âgées de 65 ans et plus va fortement croître dans le total de la population: de 20% actuellement, elle devrait s'élever à 34% en 2060. A cette date, le nombre de septuagénaires sera le double de celui d'enfants qui naissent.
24 mars 2012
Source : AFP
L’étude est appelée à faire des vagues. Les «très diplômés» ne sont pas là où on les attend.
Selon une étude du Secrétariat général de l’immigration, la France compte 6,24 millions de «très diplômés» (masters, grandes écoles et doctorat), dont 710 000 «immigrés». Au total, ce sont 780 000 «très diplômés» qui ne sont pas nés français, la différence avec les 710 000 personnes citées dans l’étude représentant ceux qui ont acquis la nationalité française. Cette étude bat en brèche de nombreuses idées reçues.
Qui sont les nouveaux français ?
Les pays d’origine les plus représentés sont l’Algérie et le Maroc (66 000 chacun) et la Tunisie (26 000). Entre ces trois pays du Maghreb, s’intercalent le Royaume-Uni (40 000) et l’Allemagne (30 000). Certains pays bien représentés dans la population immigrée le sont moins parmi les très diplômés : c’est le cas de l’Italie, l’Espagne, le Portugal ou encore la Pologne (78 000 pour les 4 pays).
La langue est le vecteur essentiel. Ces chiffres montrent l’influence de la langue natale, du passé colonial «commun», quand ce n’est pas la proximité (Royaume-Uni ou Allemagne).
En France, 41,3% des doctorants sont étrangers, une «proportion très élevée, caractéristique des pays très attractifs qui offrent un système d’enseignement supérieur de qualité et tissé un réseau grâce aux liens historiques et linguistiques», note l’étude.
Sur l’ensemble des étudiants entrés en France en 2002, un tiers y est toujours présent. L’étude ne prend pas en compte les personnes nées françaises mais de parents étrangers, en raison de l’interdiction des statistiques ethniques.
Les effets de la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers n’ont pas été pris en compte par cette étude.
27/3/2012, Rémi Yacine
Source : El Watan
La construction européenne continue à occuper la campagne présidentielle française, dans laquelle, comme trop souvent, elle joue le rôle du bouc émissaire. Tel est, notamment, le cas de la politique d'immigration.
L'Europe perd sa population et sa situation démographique est catastrophique. Aussi est-elle devenue le premier continent pour l'asile et l'immigration. La population européenne s'accroît ainsi de 8 millions de personnes chaque année et parmi les 502 millions d'Européens, on compte 45 millions d'étrangers qu'on peine à intégrer. La crise renforce l'inquiétude des peuples, attisée par les populismes et certains voudraient alors remettre en cause les accords européens de libre circulation.
Pourtant, pour relever ces défis rien ne serait pire qu'une renationalisation des politiques d'immigration. Croire que les Etats membres seraient mieux à mêmes de gérer tout seuls les frontières externes est une illusion démontrée par les faits. Laisser penser qu'une gestion interétatique de l'immigration pourrait mieux résoudre les problèmes des migrations internes à l'Union est une profonde erreur, qui porte en elle les germes de graves divisions entre les peuples. L'Europe de Schuman, celle aussi du général de Gaulle et de tous ses successeurs, n'y résisteraient probablement pas, emportées par la tentation du repli qui conduit aux nationalismes.
Les initiateurs des accords de Schengen (1985: Allemagne, Benelux, France), devenus 26, ont eux-mêmes justement décidé d'en confier la gestion, en 1995, à la Commission européenne, instance supranationale. Ils ont, depuis, tenté d'harmoniser le droit d'asile, le statut de réfugié et d'élaborer un Pacte européen pour l'immigration. Des améliorations sont encore nécessaires et leur réforme est d'ailleurs en cours. Le contrôle des frontières extérieures doit, un jour, être confié à un véritable corps européen de garde-frontières, les Etats ne doivent plus pouvoir décider seuls de mesures qui auraient des conséquences sur leurs partenaires, une vraie solidarité avec ceux qui sont confrontés à la pression venue des pays tiers doit être organisée, la mobilité des travailleurs au sein de l'Union peut être mieux régulée, notre sécurité face aux nouvelles menaces doit en être renforcée.
Cela ne peut être réussi qu'ensemble, tant il est évident que les solutions ne seront trouvées qu'à l'échelle du continent.
Répondre aux inquiétudes, c'est, en matière d'immigration, jouer totalement le jeu d'une Europe plus intégrée et plus efficace et ne rien céder aux extrémistes. C'est le vrai moyen de préserver le droit réel que nous avons acquis de circuler librement du Cap Nord aux Canaries et de maîtriser, dans le même temps, les mouvements migratoires, dans le respect des droits fondamentaux. Tout recul de cette liberté marquerait un échec grave de l'esprit européen. Que vivent les accords de Schengen !
27/3/2012, Par Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert-Schuman
Source : Le Monde
Le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, n’a pas encore pris ses distances avec le site anti-immigrés du parti de Geert Wilders. Un silence qui révèle les divisions des politiques et leur absence de vision sur l’immigration, estime le philosophe Paul Scheffer.
Ceux qui, à l’étranger, suivent un tant soit peu les informations sur les Pays-Bas, savent qu’elles tournent désormais autour d’une seule question : "Qu’est-il arrivé à ce pays tolérant ?"
Cette question dénote une déception sincère, mais revient également à adopter un nouveau cliché. De même qu’autrefois, tous les correspondants écrivaient sur la liberté apparemment sans limites au pays des tulipes, on recherche maintenant assidûment des exemples qui doivent illustrer les spasmes qui secouent le pays.
Et ce n’est pas tellement difficile, les occasions sont nombreuses, avec comme point culminant récent le “site de signalement” des Polonais [le site lancé par le Parti de la liberté appelle à signaler les "nuisances et la pollution" dont se rendent victimes les migrants d'Europe de l'Est, qui sont, aux Pays-Bas, principalement des Polonais].
Est-ce que quelqu’un se donne la peine, dans les hautes sphères gouvernementales, de lire la série déprimante d’articles sur le "Beschwerdeportal", "Ost-Pranger", "l’appel à dénoncer les migrants", "anti-Polish hotline", "Dutch anti-immigration website" ? Et je me limite ici à l’allemand, au français et à l’anglais.
La tache sur le tapis continue de grossir
L’indignation des autres pays est évidemment en partie liée à leurs propres intérêts. Les dix ambassadeurs des pays d’Europe centrale et orientale, qui, dans une lettre ouverte, se sont élevés contre ce site, auraient bien des choses à expliquer au sujet des droits des minorités dans leurs propres pays.
Et en ce qui concerne le Parlement européen [qui, après un débat houleux, à demandé le 15 mars dernier au gouvernement néerlandais de prendre ses distances avec le site du PVV], on peut dire : plus l’influence est modeste, plus les paroles sont fortes.
En outre, il existe des problèmes réels autour de la libre circulation des personnes dans l'Europe [de Schengen] – encore plus si la Roumanie et la Bulgarie y faisaient leur entrée.
Malgré ces réalités, la tache sur le tapis continue de grossir. C’est ce que le premier ministre Rutte ne réalise pas suffisamment. A Bruxelles et ailleurs, on a désormais l’impression que l’on ment pas mal à La Haye à propos de l’influence réelle de Wilders sur le gouvernement [qu’il soutient sans y participer].
Cette affaire n’est pas isolée. La crise des caricatures [danoises] l’avait déjà montré : les conflits entre gouvernements augmenteront en raison de ce qui se passe à l’intérieur des sociétés nationales. La publication de caricatures de Mahomet a entraîné un déchaînement de réactions au Moyen-Orient.
A l’inverse, les conflits à l’étranger auront de plus en plus de répercussions sur nos villes, comme il est apparu, une fois de plus la semaine dernière, lors d’un attentat contre une mosquée de Bruxelles, qui était lié à la guerre civile en Syrie.
Les "allochtones" ou la 3e génération de l'immigration
Ces frontières de plus en plus ténues entre notre pays et l’étranger, où l’immigration joue un rôle essentiel, exigent une diplomatie active. Le gouvernement précédent [la coalition entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates dirigée par Jan Peter Balkenende] était plus vigilant à cet égard.
Lorsque Wilders a sorti [en 2008] son film Fitna sur l’islam, les conséquences dommageables ont été endiguées d’une manière subtile. On est parvenu à atténuer la menace de réactions violentes au Moyen-Orient grâce à tout une série d’initiatives, où des personnalités de premier plan de la communauté musulmane sont également intervenues.
Une diplomatie de ce type n’est efficace que si elle repose sur un consensus raisonnable.Le silence gêné de Rutte montre un pays divisé vis-à-vis du monde extérieur. Il existe des divergences de vues fondamentales sur l’immigration entre les partis qui soutiennent le gouvernement, et le désaccord au sein de la majorité n’a fait qu’augmenter ces dernières années.
Au début, il s’agissait encore de la nature de l’islam : est-ce une religion ou une idéologie politique ? Cette discorde pouvait encore être conjurée par un agreement to disagree (un modus vivendi). Désormais la divergence d’opinion touche le noyau de l’intégration européenne : la libre circulation des personnes.
Le “site de signalement” laisse entendre que l’on n’est pas tenu de traiter tous les citoyens de l’Union de manière égale, et ses initiateurs estiment que l’ouverture des frontières est une grande erreur.
Ceci cache une différence encore plus substantielle concernant l’approche de l’immigration. Lorsque des politiciens du Parti de la liberté (PVV) proposent qu’on continue de qualifier d’allochtone la troisième génération, c’est-à-dire les petits-enfants de ceux qui ont immigré, cela implique un choix évident.
Cela veut dire que les nouveaux arrivants et leurs descendants – en 2025 il s’agira approximativement d’un quart de la population – ne pourront jamais faire vraiment partie de la société.
Le site de signalement et le silence de Rutte témoignent d’une division croissante. La condamnation du Parlement européen est préoccupante, mais ce qui est plus pénible, c’est la timidité des partis du centre, y compris ceux de l’opposition.
Ces derniers ne réussissent toujours pas à tenir un discours porteur d’une vision d’avenir sur l’économie et la symbolique d’une société d’immigration. En dix ans, tout a été dit sur l’intégration, mais on ne parvient toujours pas à sortir de l’impasse politique.
26 mars 2012, NRC Handelsblad
Source : presseurop
Des usines sans immigrés, voilà ce à quoi rêvent la plupart des candidats à l’élection présidentielle à la recherche de solutions pour réindustrialiser la France. Au moment où l’immigration, à droite dans la campagne, fait figure de «problème» et où Renault délocalise une partie de sa production à Tanger, une plongée rétrospective à La Plaine rappelle à quel point développement industriel et immigration sont liés.
Bidonville du Cornillon en 1963. © Fonds Pierre Douzenel
À partir du début du XXème siècle, cette zone de Seine-Saint-Denis, autour de la rue du Landy, à mi-chemin entre Saint-Denis et Aubervilliers, a été le point d’ancrage de milliers d’Espagnols. Dans un livre paru en 2004 aux éditions Autrement, La Petite Espagne de la Plaine-Saint-Denis, 1900-1980, l’historienne Natacha Lillo retrace le parcours cette communauté et son inscription dans le paysage urbain, en faisant revivre l’atmosphère des cours intérieures, des balustrades en bois, des bistrots, des discussions sur le pas de la porte, de la paroisse un temps franquiste, des réseaux anarchistes et communistes, des chants des fêtes de Noël et du nouvel an.
Elle raconte ces trajectoires ouvrières et la dureté des conditions de vie, la boue, les baraques, le travail à la chaîne, l’insalubrité, déconstruisant le mythe de l’intégration rapide et facile des immigrés «européens» à opposer à une supposée incapacité culturelle des extra-communautaires à s’inscrire dans la société française.
Son travail est le résultat d’une thèse réalisée à partir d’archives préfectorales et municipales, d’enquêtes des Renseignements généraux, des registres de baptêmes et de mariages, de la presse locale et d’entretiens avec des habitants ou d’anciens habitants du quartier. Compte-rendu.
Ancienne nécropole des rois de France, Saint-Denis vit à plein la révolution industrielle et devient la ville de la région parisienne où sont implantées le plus d’entreprises en raison de la présence de terrains plats, de canaux et de voies ferrées facilitant l’acheminement de charbon depuis les mines du Nord et de Belgique, de métaux venus du bassin de Lorraine et de matières premières en provenance de l’étranger, convoyées par la Seine depuis les ports du Havre et de Rouen.
Le long de l’avenue de Paris, rebaptisée Président-Wilson en 1918, s’installent non seulement des entrepôts et sociétés, mais aussi des immeubles d’habitation. C’est là que logent les première familles italiennes et espagnoles, dans des petits immeubles «édifiés à la va-vite des numéros 96 et 100».
Deux entreprises jouent un rôle déterminant: la verrerie Legras, spécialisée dans la production de bouteilles de verre soufflé, dénoncée comme un «bagne» exploitant des enfants espagnols de moins de 13 ans, alors l’âge légal au travail, et la tréfilerie Mouton, fabriquant de pointes d’acier, fil de fer et grillage, réputée se fournir en main d’œuvre dans les provinces pauvres de Cáceres et de la Vieille-Castille.
Côté Aubervilliers, la proximité avec les abattoirs de la Villette favorise le développement des industries chimiques qui récupèrent les déchets d’origine animale. Dédiée aux engrais, la principale usine, Saint-Gobain, cohabite avec des fabriques de vernis, de colles, de couleurs, d’encres et d’huiles. Ça fume de toutes parts. Les produits toxiques s’infiltrent dans le sol, l’air empeste des centaines de mètres à la ronde.
Des journaliers aux salaires de misère, des paysans exclus par les grands propriétaires terriens: les émigrés partent en raison de l’extrême pauvreté dans leur pays d’origine, malnutrition et retard médico-sanitaire se traduisant par des épidémies et des taux de mortalité élevés. Les famines de 1904-1905 et de 1912 provoquent des départs en pagaille.
«Les originaires du nord de la province de Burgos étaient pour la plupart de très jeunes gens issus de familles pauvres, embauchés par des compatriotes sans scrupules qui les plaçaient ensuite dans des entreprises de la Plaine. En revanche, les immigrants venus d’Estrémadure semblent avoir été des adultes ayant choisi de quitter leur terre de leur plein gré; et dès le premier conflit mondial, ils mirent en place de solides réseaux migratoires.»
Entrée du bidonville du Cornillon en 1963. © Fonds Pierre Douzenel.
Ces prémices migratoires n’ont rien d’idyllique. Les trafics de jeunes gens font la Une des journaux. «Ce phénomène était en grande partie dû à la présence de plusieurs foyers accueillant divers ‘frères’, ‘cousins’, ‘amis’ et ‘pensionnaires’, dénominations qui cachaient en réalité un véritable trafic de main d’œuvre. Des adolescents étaient recrutés par des compatriotes dans les campagnes pauvres de Vieille-Castille, notamment dans un réseau de petits villages du nord de la province de Burgos. Après les avoir fait embaucher par de grandes entreprises de la Plaine où ils travaillaient eux-mêmes, notamment des verreries, les padrones empochaient la majorité de leur salaire au titre de dédommagement des frais de transport, d’hébergement et de nourriture. Pour éviter tout départ anticipé, les jeunes manœuvres, eux, n’en touchaient que le reliquat au bout d’une année de travail.»
Un article du quotidien socialiste Le Matin fait état, un jour de novembre 1912, de contrôles policiers à la verrerie Legras. Y est évoqué le sort des adolescents «malingres, rachitiques, vêtus de loques, couverts de crasse» qui, pour certains, «portaient sur le corps d’affreuses plaies provenant de brûlures non soignées». Des peines de prisons sont prononcées contre les immigrés à la tête de ces «réseaux». Président du Syndicat des maîtres de verreries de France, l’employeur échappe, lui, à toute poursuite.
Pendant la Première Guerre mondiale, les arrivées s’accélèrent à La Plaine car les industries chimiques et métallurgiques, qui tournent à plein, manquent de main d’œuvre à la suite des départs au front des ouvriers français.
L’arrivée à la gare d’Austerlitz reste un moment mythique. «Avec les enfants, ils sont allés à pied à la Plaine-Saint-Denis, où ils se sont installés passage Boise.» «Comme bagages, ils portaient des sacoches de cheval en travers de l’épaule (…) À la gare, les gens les regardaient comme des bêtes curieuses, ils essayaient de les toucher.»
L’immigration familiale, que Claude Guéant, dans la foulée de Brice Hortefeux, d’Éric Besson et de Nicolas Sarkozy, s’échine à réduire, est alors vue comme un bienfait. Dès cette époque, néanmoins, l’argument avancé n’est pas celui du respect du droit à vivre en famille, mais de la «sûreté». Une circulaire du ministère de l’armement adressée aux industriels et publiée le 19 mars 1917 dans le Bulletin des usines de guerre estime que «ces agglomérations anormales de travailleurs isolés présentent des inconvénients graves à tous les égards» et préconise le recrutement familial, tout en soulevant les «problèmes de logement» que cela risquerait d’entraîner.
Hôtel meublé dans l'immeuble fermant l'impasse du Chef-de-la-ville en 1947. © Fonds Pierre Douzenel
Une fois remplis les hôtels meublés de l’avenue de Paris, les immigrés et leur famille s’installent dans un périmètre délimité par les rues du Landy et de la Justice, entre les usines. Tout fait l’affaire, des caves d’immeubles aux baraques construites à la hâte en passant par les anciennes remises de maraîchers. Les propriétaires des terrains louent à tout va, si bien que les parcelles se bâtissent de manière anarchique, sans que les municipalités n’aient leur mot à dire.
Ça part dans tous les sens, masures de bric et de broc qui s’édifient dans une réminiscence des architectures du sud de l’Espagne. Sans eau courante, ni électricité, les témoignages reviennent systématiquement sur les «eaux souillées», cette fange «noire, grasse et répugnante», ces odeurs pestilentielles, les WC partagés au fond des courras, la saleté des rues boueuses les jours de pluie, les épidémies de rougeole et les maladies respiratoires liées à la présence des fumées industrielles. Cette absence totale de viabilisation durera jusque dans les années 1950. Au Cornillon, à Pleyel et au Franc-Moisin, les lotissements à la va-vite prennent eux la forme de bidonvilles.
Dès la fin de la guerre, le quartier acquiert son nom de Petite Espagne. Dans les années 1920, plus de 2.200 ressortissants espagnols y résident. En 1931, ils dépassent les 4.000. Dans certaines impasses, ils représentent plus de 80% des habitants. Avec Aubervilliers, ce sont près de 8.000 compatriotes recensés.
Forme de ghettoïsation avant l’heure, cette concentration est mal vue. Le quartier est réputé mal famé et les voisins français vivent l’arrivée des familles comme une «invasion», preuve que l’intégration pour quelque origine que ce soit a toujours été semée d’obstacles. Les enfants d’alors se rappellent de telle institutrice «raciste» ou de tel camarade de classe les traitant de «pois chiches» ou de «pingouins».
La France et ses immigrés vus de La Plaine
Pas de France sans immigrés. Un précédent billet a rappelé ce que l’industrialisation à La Plaine, en Seine-Saint-Denis, devait à l’apport des populations étrangères. Celui-ci montre que l’intégration n’a jamais été un long fleuve tranquille, y compris au début du siècle passé avec des familles de confession… catholique.
Dans l’entre-deux guerres, la zone où se rejoignent Saint-Denis et Aubervilliers est un entrelacs d’usines et de cabanons. Environ 8.000 Espagnols y vivent et y importent leurs habitudes. Dans un livre paru en 2004 aux éditions Autrement, La Petite Espagne de la Plaine-Saint-Denis, 1900-1980, l’historienne Natacha Lillo souligne que cette concentration est perçue comme une menace par les résidents français qui voient l’arrivée de ces personnes comme une «invasion». Les enfants espagnols d’alors se rappellent de telle institutrice «raciste» ou de tel camarade de classe les traitant de «pois chiches» ou de «pingouins».
Les vieilles coupures de presse débordent de stéréotypes. Reporter au Petit Parisien, Pierre Frédérix, n’en croit pas ses yeux de Parisien propret dans un article du 15 juillet 1937 consacré aux «étrangers en France»: «À peine a-t-on avancé de quelques pas, les portes et les fenêtres s’ouvrent. Des têtes apparaissent: des cheveux noirs et luisants; des faces bouffies et des faces creuses; des figures de femmes au teint olivâtre, qui pourraient être belles, et qui sont malsaines. Là-dessous, des corsages aux couleurs criardes ou des loques noires. Des enfants courent. ‘Niño!’ hurle une matrone. ‘Niño!’ Suit un torrent de phrases en espagnol. Est-on en France? Non, en Espagne. Mais dans un coin d’Espagne empuanti par des odeurs chimiques. Un coin d’Espagne où, si l’on entre, on est suspect. ‘Ce type, pourquoi vient-il nous déranger?’»
Au même moment, les rapports de la Sûreté générale font état d’un climat plutôt pacifique. «En résumé, la Colonie Espagnole de la Plaine-Saint-Denis, laborieuse et respectueuse des Pouvoirs Publics, a su s’attirer des sympathies dans presque tous les milieux. Elle semble vivre en harmonie au sein de notre population, et n’apparaît pas comme un élément de désordre ou d’inquiétude», peut-on lire dans une note administrative de juin 1931.
Devenus âgés, les témoins de cette période se souviennent des modes de vie de leur petite enfance comme d’un mélange de coutumes venues d’outre-Pyrénées et de mœurs caractéristiques des milieux populaires de la banlieue parisienne. Une culture singulière prend forme. Dans un livre de souvenirs, Impasses, publié en 1999, Émile Mardones s’en fait l’écho: «Outre les corvées d’eau, ma mère m’envoyait de temps en temps en courses (…). Je devais acheter du bacalao (morue) (…) à la boutique de la mère Manuelle, boutique qui se trouvait à droite, avant le passage Boise. Après avoir passé la porte qui carillonnait, on entrait dans une grande pièce qui sentait le chorizo, le fromage, les olives qui nageaient dans des tonneaux en bois. Sur les comptoirs, les étagères, c’était un véritable capharnaüm de l’alimentation; du plafond, dégringolaient des stalactites de saucissons, de jambons et autres mortadelles.»
Il se souvient aussi des jeux risqués sur les déjà-friches pour récupérer de quoi se chauffer: «Avec des jeunes du quartier, on se retrouvait sur le terrain vague (…) et nous attendions le passage d’un convoi de charbon; les rails faisant une courbe, nous nous cachions afin que le mécanicien ne nous voie pas. Sitôt la locomotive passée, nous grimpions sur les wagons remplis de charbon jusqu’à ras bord et, avec nos mains, nous en faisions tous tomber des morceaux sur la voie.»
Sont décrits aussi: les chaises et les bancs sur les pas de portes pour discuter dehors, les fêtes de Noël et ses défilés où chacun tape sur des casseroles en parcourant les rues, les chants et les jeux de carte partagés, la passion intergénérationnelle du football et le «fragnol», langue commune propre à La Plaine.
Autre pan de la vie collective: les rapports avec l’Église (catholique) sont fluctuants, et globalement décroissants, le Patronato, au 10 rue de la Justice, ayant été construit en vue de maintenir la foi et l’allégeance au roi et d’empêcher le développement des idées politiques alternatives. À certains moments, notamment lors des périodes de crise, le Hogar attenant à l’église tenue par les Clarétains rencontre un certain succès. En tant que Société catholique de secours mutuel, il fournit les habitants en nourriture, en vêtements, en médicaments et en activités de toutes sortes (y compris le cinéma), mais son influence est concurrencée par les réseaux anarchistes et, dans une moindre mesure, communistes.
Les conditions de travail sont rudes. La première génération d’immigrants est le plus souvent analphabète ou de bas niveau d’éducation. Comme les Belges, les Italiens et les Polonais, les Espagnols occupent les métiers les plus difficiles et dangereux, ceux dont les Français ne veulent pas. La deuxième génération monte en grade de qualification: les fils trouvent à s’employer comme tourneurs, outilleurs, fraiseurs, électriciens, les filles comme sténo-dactylos, secrétaires et aides-comptables, quand leurs mères ne travaillent pas ou font des ménages.
Point d'eau dans les années 1950. ©Fonds Pierre Douzenel
Suivant les cycles économiques, leur situation se complique dramatiquement dans les années 1930. Les licenciements massifs les touchent en priorité. Le chômage explose: en 1936, un homme sur deux, dans le quartier, se retrouve sans emploi. Pour éviter le pire à leurs enfants, certains entament des procédures de naturalisation, ce qu’ils n’avaient pas fait jusque-là. Mais, note Natacha Lillo, «l’administration semble avoir tout fait pour freiner les procédures et ce n’est qu’à partir de 1938 que plusieurs d’entre elles aboutirent enfin, vraisemblablement parce que les craintes d’un conflit avec l’Allemagne rendaient nécessaire la présence d’un maximum d’hommes sous les drapeaux». Beaucoup repartent au pays.
Avec la mobilisation des travailleurs français, la Seconde Guerre Mondiale permet à de nombreux Espagnols de retrouver du travail. Mais ils ne sont épargnés ni par la faim, car ils n’ont pas de famille en province, ni par les Allemands qui organisent des descentes à La Plaine pour rafler des prisonniers politiques. Carmen M., dont la famille vivait impasse Boise, se rappelle ce jour de septembre 1941: «Un camion de militaires allemands s’est arrêté en face d’un café, rue du Landy, et les militaires se sont répartis dans toutes les impasses. J’étais seule à la maison avec ma mère, ma sœur et mon grand-père paralysé. La première maison dans laquelle les Allemands sont entrés, c’est la nôtre. Un grand officier avec des galons et un long manteau est entré dans la pièce où je dormais avec mon grand-père et a brandi une lampe torche. Il cherchait à allumer la lumière mais nous n’avions pas l’électricité.»
Une vieille dame rue du Port à Aubervilliers. ©M. et H. Jimenez
Peu de temps avant la Libération, les bombardements aériens anglais visant les voies de chemin de fer et les usines stratégiques laissent des traces durables dans les esprits. Dès 1945, la mairie de Saint-Denis intègre les résistants espagnols morts fusillés ou en déportation aux martyrs communistes de la ville. Signe parmi d’autres: la rue de la Justice est rebaptisée en rue Cristino-Garcia, du nom d’un résistant républicain espagnol assassiné par Franco.
Dans l’après-guerre, de nombreux réfugiés politiques s’installent à La Plaine, rejoints, dans les années 1950 et 60 par des milliers de compatriotes venus pour travailler. C’est les Trente glorieuses, et la France a besoin de main d’œuvre. Frères, soeurs et autres cousins sont accueillis à bras ouverts. Lors du recensement de 1968, la communauté espagnole connaît son apogée avec 607.000 personnes. Les Italiens sont dépassés. À Saint-Denis, ils sont alors 4.423, et de même que leurs prédécesseurs, ils viennent de la campagne et sont embauchés comme ouvriers spécialisés dans l’industrie ou sur les chantiers. La Seine-Saint-Denis est encore un pôle important avec Jeumont-Schneider, Tréfimétaux et Alsthom.
Parmi les nouveaux venus, les hommes sont manœuvres et les femmes ménagères. Mais les augmentations salariales et les prestations sociales leur permettent de mieux vivre, d’économiser, de retourner au pays et de s’y faire bâtir une maison en prévision des vieux jours. Dans les années 1960, l’électricité fait son apparition dans les passages, puis l’eau courante. Portée par une relative ascension sociale vers des postes du tertiaire plus qualifiés, les enfants ont tendance à quitter le quartier. Les mariages mixtes, de plus en plus nombreux, ont le même effet de dissolution.
Les départs sont progressifs. La Plaine se vide de ses Espagnols. La population d’origine portugaise et maghrébine prend le relais suivie par de nombreux travailleurs originaires d’Afrique subsaharienne, notamment des Cap-Verdiens. Et c’est une autre histoire de l’immigration qui commence, mais d’une certaine manière la même.
26 Mars 2012, Carine Fouteau
Source : Médiapart
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